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La guerre à Gaza rebat les cartes de l’échiquier politique israélien, avec de nouvelles dynamiques encore floues, et le débat se concentre plus que jamais sur des questions sécuritaires et identitaires. Dans ce contexte, Benyamin Netanyahou, toujours inquiété par la justice dans plusieurs affaires de corruption et dont l’avenir politique est largement compromis, cherche à se maintenir au pouvoir.
Crédits photo : Manifestations en Israël, novembre 2023, Tel-Aviv, Ines Gil
« C’est le pire Premier ministre de l’histoire d’Israël ! ». Sur la rue Kaplan de Tel-Aviv, un groupe d’irréductibles manifestants se réunit régulièrement. « Démission, maintenant ! » s’exclame Anna, une protestataire. Elle soulève énergiquement une pancarte, avec l’inscription en hébreu « il est coupable et il va payer » [1]. Ils ne sont qu’une vingtaine, chaque jour, à se rassembler pour exiger la démission de Benyamin Netanyahou, qu’ils tiennent pour responsable du désastre sécuritaire du 7 octobre et de la mauvaise gestion de la guerre. Dans le même temps, les manifestations pour faire pression sur le gouvernement sur le dossier des otages rassemblent quotidiennement des centaines de protestataires, et des milliers de personnes certains week-end. En Israël, la question des 129 otages encore détenus à Gaza mobilise aujourd’hui davantage que la démission de Benyamin Netanyahou.
Pour autant, la faible mobilisation contre Netanyahou ne signifie pas que les Israéliens sont satisfaits de leur Premier ministre. Tous les sondages [2] réalisés en Israël depuis l’attaque du Hamas confirment que le gouvernement, et particulièrement le Premier ministre et son parti le Likoud sont de plus en plus décriés. De ses 32 sièges actuels au Parlement, le parti de droite est tombé à 18 sièges dans un sondage publié par le journal israélien Maariv en novembre. Les partis de la coalition actuelle, composée du Likoud, des partis religieux et des formations d’extrême droite, obtiennent 42 sièges, contre 64 actuellement à la Knesset. Si des élections parlementaires étaient organisées aujourd’hui, elles seraient loin en dessous du seuil pour former un gouvernement. En parallèle, ces dernières semaines, la cote personnelle de B. Netanyahou est de 20 points inférieure à celle de l’ancien chef de l’opposition et actuel collègue du cabinet de guerre, Benny Gantz, selon une enquête de l’Institut israélien de la démocratie.
Au lendemain du massacre du 7 octobre, Benyamin Netanyahou a fixé un objectif extrêmement audacieux et difficile à atteindre dans la guerre menée à Gaza, à savoir, l’éradication du Hamas. Plus de deux mois après le début de la guerre, l’armée israélienne a certes progressé rapidement dans le nord de l’enclave, mais au détriment de pertes civiles extrêmements élevées côté palestinien (plus de 20 000 Palestiniens tués, en large majorité des civils, selon le ministère de la Santé à Gaza, chiffres probablement sous-estimés selon plusieurs experts de la question palestinienne). Jusqu’à aujourd’hui, les capacités du Hamas n’ont pas été démantelées et l’offensive israélienne n’a pas cassé l’esprit combattif du mouvement palestinien. D’autant plus que pour être effective, la question de l’éradication du Hamas ne peut pas s’arrêter à Gaza. Le mouvement islamiste est présent dans plusieurs pays, dont le Liban et le Qatar, et sa popularité a bondit en Cisjordanie après le 7 octobre.
Benyamin Netanyahou cherche-t-il à fixer des objectifs inatteignables ? Difficile à affirmer. Mais le Premier ministre, vivement critiqué en Israël pour la gestion des affaires sécuritaires, tient à montrer une fermeté sans faille face au Hamas, au risque de faire preuve d’une fuite en avant risquée pour Israël. L’offensive à Gaza est la cible de critiques de ses alliés, même à Washington. Par ailleurs, elle constitue un danger pour les relations avec les pays arabes avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques, et elle pourrait avoir des conséquences explosives sur la scène palestinienne.
Au vu de l’effondrement de sa popularité dans les sondages, la fin de la guerre à Gaza pourrait acter la fin de la carrière politique de Benyamin Netanyahou et le risque pour lui de finir ses jours en prison. Début décembre, son procès pour corruption a repris, environ deux mois après sa suspension due à l’attaque du 7 octobre. Cherchant à se maintenir au pouvoir coûte que coûte, ses ambitions personnelles risquent d’avoir un effet dangereux sur la stratégie israélienne à Gaza, ralentissant la recherche d’une solution politique pour les Palestiniens de la bande côtière. Dans l’immédiat, pour préparer son maintien au pouvoir et l’après-guerre, Benyamin Netanyahou doit satisfaire ses alliés de l’extrême droite (Force Juive et le Parti sioniste-religieu), dont il dépend pour préserver sa coalition gouvernementale.
Fin novembre, le gouvernement a débloqué plus de 100 millions de dollars supplémentaires en faveur des colonies dans lesquelles vivent un demi-millions d’Israéliens. Benny Gantz, l’opposant à Benyamin Netanyahou et membre du cabinet de guerre depuis le 7 octobre, a dénoncé cette politique, assurant que les finances du pays devraient en réalité se concentrer sur l’effort de guerre, et non sur les projets colonialistes dans les Territoires palestiniens. Aux manettes de ce nouveau budget, on retrouve Bezalel Smotrich, fer de lance de l’extrême-droite sioniste religieuse et partisan du « Grand Israël ». Avec ces fonds, le ministre des Finances cherche à développer des routes réservées aux colons qui contournent les villes palestiniennes, mais aussi l’entraînement et l’armement de civils mobilisés pour assurer la défense des colonies.
Depuis l’attaque du 7 octobre, de vives crispations sécuritaires et identitaires traversent la société israélienne, et la colonisation en Cisjordanie incluant Jérusalem-Est s’intensifie. En parallèle, à Gaza, depuis le début de la guerre, avec les lourdes destructions matérielles et le déplacement massif de la population palestinienne vers le sud, les anciens habitants des colonies, chassés unilatéralement en 2005 par l’ex-Premier ministre Ariel Sharon, rêvent d’un retour. Le projet n’est porté que par une minorité. Mais associé au discours d’une violence extrême d’une partie du gouvernement sur la population civile à Gaza et aux propositions israéliennes d’expulsion des Gazaouis vers le Sinaï égyptien, l’appel au retour des colonies traduit une avancée rapide des thèses d’extrême droite en Israël.
Quand Benny Gantz quittera le cabinet de guerre formé spécialement pour le conflit à Gaza, cela marquera le début d’un processus politique visant à renverser le gouvernement. De nouvelles élections pourraient alors être organisées. S’il ne faut pas négliger la ténacité du « culte bibiste » ou la motivation des kahanistes de l’extrême droite, les chances que l’opinion publique israélienne, de gauche comme de droite, permette à ce gouvernement de se maintenir, sont très minces. Mais quelques soient les figures politiques qui se dégagent, la surenchère sécuritaire et identitaire va s’imposer plus que jamais dans le débat israélien.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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