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Alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, que devient la Cisjordanie (1/2) ?

Par Emile Bouvier
Publié le 12/01/2024 • modifié le 12/01/2024 • Durée de lecture : 4 minutes

Si la Cisjordanie revêt une importance symbolique moindre que la bande de Gaza dans l’identité palestinienne contemporaine, elle n’en demeure pas moins une composante démographique et géographique essentielle de la Palestine. Peuplée de trois millions de Palestiniens en 2022 - contre deux millions dans la bande de Gaza [2] -, elle abrite les villes de Ramallah, Jénine, Hébron et, surtout, Jérusalem, dont la portion orientale est sous contrôle de l’Autorité palestinienne.

La Cisjordanie figure par ailleurs comme le territoire sur lequel la colonisation israélienne se développe. En effet, au grand dam de la communauté internationale et malgré les condamnation régulières de cette dernière, les autorités israéliennes - en particulier sous la primature de Benjamin Netanyahou - encouragent l’installation de colons israéliens en Territoire palestinien, provoquant tensions et affrontements entre communautés israéliennes et palestiniennes. Concomitamment à l’intensification de cette colonisation et de la répression dont la population locale fait l’objet, la Cisjordanie voit éclore une constellation de mouvements palestiniens armés, comme le détaillaient récemment Les clés du Moyen-Orient.

Dès le lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023, par crainte de l’ouverture d’un front cisjordanien en plus de celui de la bande de Gaza et de la frontière israélo-libanaise, les forces israéliennes ont investi la Cisjordanie afin de la placer en situation de confinement [3] : l’armée a fermé l’entrée de nombreuses villes, établi des points de contrôle à travers l’intégralité du territoire, restreint les mouvements internes des habitants et effectué des opérations de sécurité dans le but d’arrêter ou neutraliser de potentiels militants armés. Profitant de cet cette situation, les colons israéliens ont quant à eux fortement accru les attaques à l’encontre des Palestiniens, provoquant de façon tout à fait inédite l’établissement de sanctions américaines et européennes contre certains des colons responsables de ces actes.

Alors que la violence croît exponentiellement en Cisjordanie, le présent article entend dresser un état des lieux de la situation en rappelant tout d’abord le statut particulier de ce territoire (I) et les enjeux des problématiques sécuritaires sur place (II), inhérentes à la colonisation israélienne (III) et expliquant le risque croissant d’embrasement, aujourd’hui, de la Cisjordanie (IV).

I. La Cisjordanie, un territoire singulier juridiquement…

La Cisjordanie consiste un archipel d’enclaves dont les frontières ont été définies à l’issue des combats ayant émaillé la région durant le XXème siècle, puis figées par les accords d’armistice israélo-arabes de 1948 ainsi que les accords intérimaires sur la Cisjordanie et la bande de Gaza signés à Washington (« accord de Taba » ou « Oslo II ») le 28 septembre 1995. Le contexte de la définition des territoires administrés par l’Autorité palestinienne explique, dès lors, l’absence de continuité territoriale entre eux. Selon les accords intérimaires de 1995, trois types de zones sont définis en Cisjordanie : la zone A, sous contrôle exclusif palestinien ; la zone B, sous administration palestinienne et contrôle sécuritaire israélien ; la zone C, sous contrôle administratif et sécuritaire israélien [4].

Concrètement, la vie quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie s’articule autour de l’omniprésence des forces de sécurité israéliennes [5]. Selon un rapport de l’ONU d’août 2023 [6], celles-ci ont établi un maillage territorial consistant en 645 obstacles à la circulation. Ce maillage comprend 49 points de contrôle avec du personnel permanent (des « checkpoints »), 139 points de contrôle avec du personnel intermittent, 304 barrages routiers, monticules de terre et barrières routières, 73 murs de terre, barrières routières et tranchées, et 80 obstacles supplémentaires de différents types dans la zone d’Hébron contrôlée par les Israéliens. Ces obstacles permettent aux Israéliens de contrôler et canaliser, selon leurs besoins, les déplacements au sein du territoire cisjordanien.

II. … et déchiré par les problématiques sécuritaires

Avant que n’éclate le conflit entre le Hamas et Israël le 7 octobre, des milliers de Palestiniens (environ 70 000 en 2018 [7]), devaient passer par les checkpoints matin et soir afin de quitter le territoire administré par l’Autorité palestinienne et se rendre en territoire israélien pour y travailler, puis en revenir [8]. Devenus symboliques de la sévérité de l’administration israélienne en raison des conditions particulièrement dures de passage (files systématiquement bondées, attente durant plusieurs heures [9], permis de travail en territoire israélien complexes à obtenir [10] …) empêchant les Palestiniens de se déplacer, travailler ou rendre visite à leurs proches librement, ces checkpoints se sont avérés être la cible de choix des attaques conduites par des militants palestiniens [11].

De fait, à ces facteurs de contre-mobilité pour la population palestinienne s’ajoutait la crainte des raids conduits très régulièrement par les forces israéliennes afin de neutraliser les cellules de combattants palestiniens éclosant régulièrement à travers l’intégralité du territoire cisjordanien ; ces opérations israéliennes ont connu ces dernières années une intensification, tant en termes de nombre que de dommages, aboutissant en la mort régulière de civils [12]. Le nombre de Palestiniens tués a ainsi cru de 82% entre 2021 et 2022, et de 491% entre 2020 et 2022 [13] ; près de 70% de ces morts ont été recensées en Cisjordanie. La multiplication de ces opérations coïncide, de fait, avec le durcissement de la position des autorités israéliennes à l’égard des Palestiniens et l’intensification de la colonisation.

Lire la partie 2

Publié le 12/01/2024


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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