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L’esplanade des mosquées, haut lieu de discordes israélo-palestiniennes

Par Ines Gil
Publié le 23/08/2017 • modifié le 24/08/2017 • Durée de lecture : 8 minutes

Crédit photo : Ines Gil

Le statut quo prévu sur l’Esplanade des Mosquées

S’étendant sur 14 hectares surplombant la vieille ville de Jérusalem, l’Esplanade des mosquées – Al-Haram Al-Charif en arabe – se situe dans la vieille ville, du côté oriental de Jérusalem. C’est en 1967, au terme de la guerre des six jours, qu’Israël s’empare de Jérusalem Est et donc du troisième lieu saint en Islam sunnite. L’Etat hébreu y maintient le statut quo, annoncé alors par le général Moshe Dayan, et réaffirmé en 1994 par le traité de paix avec la Jordanie. C’est une fondation islamique sous contrôle jordanien, le Waqf, qui gère le lieu. Les visiteurs non musulmans qui s’y rendent ne peuvent pas y organiser de prières. Cette règle est d’une grande importance, car dans le judaïsme, c’est à cet endroit qu’était érigé le second temple, détruit en 70 après J-C et le mur des lamentations, qui en constituerait le seul vestige, est le premier lieu saint dans le judaïsme. Après la conquête de Jérusalem Est par Israël, le Grand Rabbinat d’Israël a proscrit l’accès du Mont du temple aux juifs, de crainte qu’ils ne foulent le saint des saints.

Les revendications juives sur l’Esplanade des mosquées, un facteur de tensions avec les Palestiniens

Malgré l’injonction du statut quo et du Grand Rabbinat, une minorité de juifs revendique la possibilité de prier sur le Mont du temple. De manière ponctuelle, des juifs religieux se rendent sur l’Esplanade des mosquées et y récitent des prières. La police israélienne les expulse en cas de signalement. D’autres encore militent pour la construction d’un troisième temple, à la place d’Al-Haram Al-Charif. C’est le cas du Rabbin et homme politique Yehuda Glick, considéré comme extrémiste nationaliste religieux. En 2014, il avait fait l’objet d’une tentative d’assassinat de la part d’un membre du Jihad islamique palestinien, dont il était ressorti gravement blessé. Suite à cette attaque, le rabbin et sa volonté de reconstruire un troisième temple avaient bénéficié d’un certain écho dans les milieux nationalistes religieux juifs. En 2016, il devient député pour le Likoud, le parti du Premier ministre Benyamin Netanyahou (1).

Du fait de ces revendications religieuses juives sur l’Esplanade des mosquées, beaucoup de Palestiniens craignent pour le maintien du statut quo. Ces groupes religieux juifs, divisés entre sionistes religieux et ultrareligieux antisionistes, ne représentent qu’une minorité des Israéliens, mais leur capacité de nuisance peut être forte. En 1984, le groupe ultra-religieux juif « HaMakhteret Ha Yehudit » (littéralement « Le réseaux juif ») planifie un attentat afin de faire exploser l’Esplanade des mosquées et reconstruire le Second Temple détruit en 70. Alors que les organisateurs de l’attaque allaient atteindre leur but, la police israélienne parvint à les arrêter (2).

Les revendications de certains groupes juifs participent donc à la crispation des relations israélo-palestiniennes autour de l’Esplanade des mosquées. Elles s’ajoutent aux fortes tensions existant autour du lieu saint entre Palestiniens et autorités israéliennes.

Crédit photo : Ines Gil

L’Esplanade des mosquées, un lieu symbolique religieux et politique pour les Palestiniens

Les récentes violences autour de l’Esplanade des mosquées, qui trouvent leur origine dans l’installation de nouveaux systèmes de sécurité par Israël à l’entrée du lieu saint, semblent difficiles d’entendement sans un retour sur l’histoire récente des relations israélo-palestiniennes entourant ce lieu. Pour Israël, l’Esplanade des mosquées fait partie d’un ensemble – Jérusalem Est – conquis en 1967, composant la capitale « une et indivisible » de l’Etat (3). Le statut quo sert pour l’Etat hébreu à ménager l’opinion palestinienne. Cependant, les considérations sécuritaires israéliennes sont parfois susceptibles d’entrer en confrontation avec les revendications palestiniennes autour de ce lieu hautement symbolique. Al-Haram Al-Charif comporte en effet une dimension religieuse, qui mobilise non seulement les Palestiniens, mais l’ensemble du monde musulman en cas d’action israélienne jugée non conforme au statut quo. D’autre part, pour les Palestiniens, ce lieu comporte aussi une dimension politique, car il est le symbole des revendications nationales palestiniennes sur Jérusalem Est, et parce qu’il constitue, dans l’opinion palestinienne, un des derniers bastions de sa souveraineté. Symbole central de l’identité palestinienne, l’Esplanade des mosquées constitue depuis des années un haut lieu de tensions et de violences entre autorités israéliennes et Palestiniens.

Durant la première Intifada (1987-1993), l’Esplanade devient pour les Palestiniens le symbole des violences commises par les autorités israéliennes. En effet, le 18 octobre 1990, durant la fête juive de Souccot, le mouvement juif ultranationaliste des Fidèles du Mont du Temple demande à se rendre sur l’Esplanade pour y prier. Des Palestiniens se mobilisent pour montrer leur refus, et des affrontements éclatent avec la police israélienne. A l’issue des violences, 22 Palestiniens sont tués. Suite à cela, le Conseil de Sécurité adopte la résolution 672, par laquelle il demande à Israël de « s’acquitter scrupuleusement des obligations juridiques et des responsabilités lui incombant en vertu de la quatrième Convention de Genève relative à la protection de la population civile en temps de guerre, en date du 12 août 1949, qui est applicable à tous les territoires occupés par Israël depuis 1967 » (4).

En 1996, après que le Premier ministre israélien Netanyahou a donné son feu vert à la construction d’un tunnel sous l’Esplanade, des manifestations éclatent. Elles se solderont sur la mort de 70 Palestiniens, et 17 Israéliens (5).

En septembre 2000, Ariel Sharon, alors député, se rend sur l’Esplanade des mosquées escorté par des policiers. Cet événement, vécu comme une provocation par certains Palestiniens, est suivi de heurts violemment réprimés par la police. Les manifestations se multiplient dans les jours qui suivent, faisant plusieurs dizaines de morts du côté palestinien. L’intifada « Al-Aqsa », la seconde intifada, a débuté. Elle durera cinq années et fera plus de 5 000 morts, dont les trois-quarts seront Palestiniens. En 2009, des violences éclatent de nouveau durant la fête juive de Souccot et plusieurs Palestiniens sont tués.

Les restrictions à l’entrée de l’Esplanade, mesures de sécurité pour les Israéliens, provocations et violation du statut quo pour les Palestiniens

A partir de l’automne 2014, les heurts violent se multiplient en Cisjordanie à Jérusalem et autour de l’Esplanade des mosquées. Les attaques palestiniennes meurtrières à l’encontre de civils ou de représentants de l’autorité israélienne se multiplient, tout comme la réaction israélienne, qu’elle soit militaire ou policière. En 2015, le terme d’« intifada des couteaux » s’impose pour d’écrire la violence qui règne à Jérusalem et en Cisjordanie.

La tension est d’autant plus criante autour de l’Esplanade des mosquées les vendredis, jour de prière pour les musulmans, et lors des fêtes juives. Pour contenir les tensions, Israël a restreint à plusieurs reprises l’accès à l’Esplanade. A l’automne 2014, après l’attaque sur le rabbin extrémiste Yehuda Glick, l’Etat hébreu ferme totalement l’accès au lieu, aux musulmans comme aux juifs. Auparavant, en 2000, le Waqf avait pris une décision similaire pour protester contre la visite d’Ariel Sharon. Cependant, cette mesure n’avait jamais été prise par les Israéliens depuis leur présence en 1967. Elle entraîne la colère du monde musulman, et particulièrement des Palestiniens et des Jordaniens, qui accusent Israël de vouloir remettre en cause le statu quo. Israël réouvre les portes aux musulmans dès le lendemain, mais en restreint l’accès ; les hommes de moins de 50 ans ne peuvent pas y entrer. Pour les Palestiniens, cette mesure rappelle la politique israélienne de restriction des entrées établie durant la Seconde Intifada.

A l’automne 2015, pour apaiser les violences qui sont devenues quotidiennes dans la ville sainte, Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne trouvent un accord, avec la médiation des Etats-Unis, pour installer des caméras de surveillance sur l’Esplanade des mosquées. En mars 2016, ce sont 55 caméras de surveillance qui vont être installées. Cependant, Amman revient sur sa décision deux mois plus tard.

Les événements récents autour de l’Esplanade des mosquées s’inscrivent en continuité avec les violences qui touchent Jérusalem depuis 2014. Après une attaque meurtrière causée par des Palestiniens durant laquelle deux soldats israéliens ont perdu la vie le 14 juillet 2017, les autorités israéliennes décident d’instaurer des mesures de sécurité autour de l’Esplanade des mosquées. L’assaillant aurait en effet dissimulé ses armes dans le lieu saint avant l’attaque. Ainsi, le 16 juillet, l’Etat hébreu installe des détecteurs de métaux et commence à placer des caméras de surveillance. Suite à ces mesures, des heurts éclatent entre Palestiniens et police israélienne le 21 juillet, après la prière à Al-Aqsa. Trois Palestiniens sont tués. En représailles, trois Israéliens vivant dans la colonie de Neve Tsuf, sont assassinés par un Palestinien. Autour d’Al-Aqsa, les affrontements sont alors quotidiens, et les Palestiniens prennent la décision de ne plus prier sur l’Esplanade, mais aux alentours du lieu saint.

La communauté internationale, très préoccupée par la situation, s’est empressée de réagir pour appeler au calme. Après que l’Egypte, la France et la Suède ont demandé l’organisation d’une réunion au Conseil de sécurité des Nations unies, Nickolay Mladenov, émissaire de l’ONU chargé du Proche-Orient, a exigé que la crise prenne fin avant le vendredi 28 juillet, jour de prière pour les musulmans susceptible d’être le théâtre des violences autour de l’Esplanade. Les Etats-Unis ont aussi tenté de calmer la situation en faisant intervenir l’ambassadeur David Friedman et l’envoyé spécial américain pour le processus de paix Jason Greenblatt. Cependant, c’est de la Jordanie que la sortie de crise a été trouvée. Le Royaume Hachémite, qui gère Al-Haram Al-Charif, est aussi très préoccupé par la « rue palestinienne ». Le pays, qui est majoritairement peuplé de Palestiniens – ils représentent 60% de sa population – craint de subir lui aussi les conséquences de contestations palestiniennes. La semaine de « crise » sur les portiques a déjà eu des répercussions sur le pays, car à Amman (capitale jordanienne), un vigile de l’ambassade d’Israël a été attaqué à coup de tournevis par un Palestinien. Ainsi, le roi Abdallah II de Jordanie s’est entretenu avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou pour exiger le retrait des mesures de sécurité instaurées après le 14 juillet (6).

Le 25 juillet, les portiques de sécurité et les caméras sont retirés de l’Esplanade des mosquées, après deux semaines de crise. Suite à ces mesures, les autorités religieuses musulmanes ont appelé les Palestiniens à lever le boycott sur l’Esplanade, en les invitant à se rendre à la prière du vendredi 28 juillet. Cependant, entre temps, de nouveaux heurts ont éclaté autour du lieu saint et l’Etat hébreu a décidé d’en restreindre l’accès aux hommes de moins de 50 ans pour la prière du vendredi.

Conclusion

La récente crise qui s’est cristallisée autour de l’Esplanade des mosquées traduit les tensions persistantes entre Israéliens et Palestiniens autour ce lieu saint. Les restrictions imposées par Israël, motivées par des considérations sécuritaires, sont considérées comme une provocation par les Palestiniens, qui s’inquiètent pour la préservation du statut quo. Dans cette crise, la Jordanie s’est imposée comme un médiateur efficace pour apaiser les tensions et trouver une voie de sortie, car elle a obtenu le retrait des mesures de sécurité installées par Israël depuis le 14 juillet. Cependant, l’Etat hébreu a maintenu certaines restrictions à l’entrée du lieu saint pour la prière du vendredi 28 juillet ; les hommes de moins de 50 ans ne pouvaient pas y entrer et une des portes de l’Esplanade des mosquées, Bab Al-Houta, est restée presque constamment fermée. Ces mesures ont entrainé de nouveaux affrontements autour du lieu saint, qui constitue, malgré l’apaisement, un site de haute tension entre Israéliens et Palestiniens.

Notes :
(1) SMOLAR Piotr, « yehuda Glick, l’extrémiste juif devenu survivant fréquentable », Le Monde, le 5 novembre 2015, Consulté le 1er août 2017 (en ligne), URL : http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/11/05/yehuda-glick-l-extremiste-juif-devenu-survivant-frequentable_4803962_3218.html
(2) LIS Jonathan, SHRAGAI Nadav, YOAZ Yuval, « Yatom : Jews Nearly Succeeded in 1984 Temple Mt. Bomb Plot », Haaretz, Le 24 juillet 2004, Consulté le 1er août 2017, URL : http://www.haaretz.com/news/yatom-jews-nearly-succeeded-in-1984-temple-mt-bomb-plot-1.129418
(3) La loi fondamentale votée par la Knesset en 1980 proclame Jérusalem comme la capitale « une et indivisible » d’Israël.
(4) « La question de la Palestine, Le statut de Jérusalem », Organisation des Nations unies, Consulté le 1er août 2017 (en ligne), URL : http://www.un.org/french/Depts/palestine/issues_jerusalem.shtml
(5) « L’esplanade des mosquées, poudrière du conflit israélo-palestinien », France Culture, Le 25 juillet 2017, Consulté le 1er août 2017 (en ligne), URL : https://www.franceculture.fr/geopolitique/lesplanade-des-mosquees-poudriere-du-conflit-israelo-palestinien
(6) DAVID Joël, « La crise des portiques à Jérusalem dénouée en Jordanie », La croix, Le 25 juillet 2017, Consulté le 2 août 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/crise-portiques-Jerusalem-denouee-Jordanie-2017-07-25-1200865423

Publié le 23/08/2017


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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