Appel aux dons vendredi 4 octobre 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/1887



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3100 articles publiés depuis juin 2010

jeudi 3 octobre 2024
inscription nl


Accueil / Actualités / Analyses de l’actualité

Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite à l’heure des choix (1/2)

Par Michel Makinsky
Publié le 19/03/2015 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 29 minutes

Michel Makinsky

Le premier trimestre de l’année 2015 ouvre une période où les deux « éternels concurrents » doivent opérer des choix stratégiques sur la nature et l’évolution (entre continuité et innovation) de leurs relations. Plusieurs facteurs pèsent directement sur l’orientation qui sera donnée à ces développements. Les changements intervenus dans les sphères de décision du royaume depuis le décès du roi Abdallah obligent les Saoudiens à réexaminer les options retenues jusqu’à présent par rapport au passé. Les nouveaux responsables introduiront fatalement des inflexions dont l’ampleur comme la direction reste à déterminer. Le second facteur régional est naturellement l’évolution de la situation en Irak et en Syrie. Le rôle déterminant de l’appui militaire iranien au sol dans les contre offensives menées par les troupes irakiennes (surtout milices chiites, avec le concours de milices sunnites en petit nombre, et des forces armées irakiennes en cours de reconstruction) sous la direction du général Soleimani, avec l’appui d’éléments de la force al-Qods et des pasdarans, bouleverse le paysage des rapports de force régionaux. Le fait que le régime de Damas, bien qu’affaibli, ne soit pas destiné à s’effondrer, grâce au soutien iranien et du Hezbollah libanais, conforte les dirigeants de Riyad dans l’impression d’un poids régional croissant de la République Islamique. Cette perception a un fort parfum de strangulation menaçante accrue par la montée en puissance des Houthis au Yémen, qui ont renversé le gouvernement et se renforcent grâce à l’appui militaire iranien. Ceci est interprété par les Saoudiens comme un dangereux encerclement qui cacherait (mal) des ambitions d’hégémonie régionale de Téhéran ; ils se sentent affermis dans ce diagnostic par diverses déclarations de personnalités iraniennes véhiculant des rêves de quasi-empire régional.

Un autre facteur déterminant est le dossier nucléaire entre Téhéran et les 5+1 (les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies, plus l’Allemagne). Tout au long de l’avancement des négociations, les Saoudiens ont affiché une inquiétude croissante quant à la possibilité d’un « mauvais accord » qui ouvrirait la voie à la constitution d’un arsenal nucléaire militaire. Ils ont accentué les pressions sur les négociateurs afin d’obtenir plus de garanties par rapport à des projets d’accord jugés par le Royaume comme par l’Etat hébreu comme dangereusement laxistes.

Dans cette relation bilatérale interfère un élément-tiers : la relation Washington-Riyad. Elle est empreinte de contradictions de part et d’autre, à l’image du duo entre l’Amérique et l’Etat Hébreu. D’un côté les Etats-Unis veulent imposer au royaume la rupture définitive avec ses sympathies avec les islamistes de Daesh qui constituent à la fois une menace directe contre la stabilité régionale mais aussi contre la sécurité américaine, qui met également en danger de l’intérieur la survie-même du royaume. En sus, se greffe là-dessus un contentieux à présent plus visible quant à l’implication de familles saoudiennes dans l’attentat du 11 septembre. En second lieu pèse sur ce dossier la volonté manifeste américaine, au nom de la stabilité régionale, d’une normalisation des rapports entre l’Iran et l’Arabie saoudite en raison de l’appui des deux capitales aux protagonistes des crises irakiennes et syriennes.
Tout ceci est encore compliqué par l’encouragement fort donné par les Saoudiens à la baisse des cours du baril qui, plus que l’Iran et la Russie, vise à dégrader la rentabilité de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste américain.

Sur l’autre plateau de la balance apparaît la volonté du président Rohani et de ses équipes d’amorcer urgemment un réchauffement des relations entre Téhéran et Riyad, pour mettre un terme au grand péril découlant des offensives de Daech, al-Qaïda en Irak et en Syrie qui mettent directement en danger la sécurité iranienne. L’Iran veut aussi réintégrer la communauté des acteurs du Golfe dont il veut être un des co-pilotes régionaux, y compris dans l’illusoire perspective d’en chasser les ‘gendarmes’ américains.
Ce réchauffement implique aussi que le traitement du dossier saoudien (comme irakien) soit de nouveau sous la responsabilité de l’exécutif (présidence, gouvernement, diplomatie…), coordonné par le Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, et échappe au ‘tout militaire’ du général Soleimani. Une telle option comporte aussi à l’évidence une dimension politique interne en Iran dans la mesure où elle s’inscrit dans le projet politique du président de prendre une part décisive dans la définition et la mise en œuvre de la politique extérieure du pays, dont des pans entiers lui échappent, car contrôlés par les Gardiens de la Révolution qui bénéficient de l’aval du Guide. Tels sont les thèmes des réflexions que nous allons approfondir dans les lignes qui suivent.

Les sujets de discorde

Téhéran a ouvert un front diplomatique en direction de l’Arabie saoudite. Depuis plusieurs mois, le président Rohani, Zarif et de ses vice-ministres déploient une offensive vers Riyad afin de parvenir à une sorte de modus vivendi. On est encore très loin du compte, car les réticences sont encore très fortes chez les Saoudiens chez qui une vive méfiance perdure vis-à-vis des Iraniens, il y a encore peu de visibilité sur les orientations des nouveaux dirigeants, et des désaccords importants subsistent entre les deux capitales sur la Syrie, comme sur l’Irak. Le royaume ne cesse de dénoncer l’« ingérence » iranienne en Syrie et au Liban ; il s’était opposé à la participation iranienne à la conférence Genève 2 et a exigé que Téhéran cesse toute présence et appui au régime de Damas, condition inacceptable pour les Iraniens. Ceux-ci dénoncent symétriquement l’assistance saoudienne aux islamistes de Syrie et d’Irak, rendent le royaume responsable du chaos régional et somment celui-ci de prendre une part active et crédible à la lutte contre Daech. Le dossier nucléaire empoisonne encore les relations bilatérales : excessivement méfiants à l’encontre des Iraniens soupçonnés de cacher un programme militaire menaçant, au service d’une ambition de domination régionale, les dirigeants saoudiens multiplient comme Israël de vigoureuses pressions sur Washington pour prévenir la signature redoutée d’un ‘mauvais’ accord.

A cela s’ajoute la baisse des prix du baril que Riyad n’a pas voulu empêcher malgré les plaidoyers iraniens (et irakiens) auxquels les Saoudiens sont restés insensibles. Ceci a déclenché en Iran une vague de protestations d’une âpreté sans précédent contre l’Arabie saoudite dénoncée, ce qui doit être relevé, non seulement par Ali Khameneï [1], les dirigeants conservateurs et ultras [2], les chefs pasdarans et bassiji, mais aussi par le président Rohani [3] (ce qui est plutôt surprenant), des personnalités gouvernementales [4], comme l’auteur d’un véritable complot ourdi avec Washington, en vue d’aboutir à l’effondrement de l’économie iranienne, et faire choir le régime. Ici et là, des voix martiales en Iran promettent aux dirigeants du Royaume que leur inconséquence ne leur portera pas bonheur. Il existe une certaine unanimité (un peu contre nature) [5] dans la classe politique iranienne pour accuser Riyad de ce « complot ». Le fait que Rohani et ses alliés, entourages, se soient joints à ces dénonciations est inhabituel. Ceci reflète d’un côté la vulnérabilité politique du camp présidentiel obligé de paraître s’aligner sur des slogans durs et maximalistes, et la volonté d’adresser aux Saoudiens un message fort. Or, les autorités saoudiennes ont reconnu de façon assez explicite que c’est l’Amérique qui est principalement visée par leur refus de soutenir les cours. Il s’agit surtout de vulnérabiliser les productions américaines croissantes de gaz de schiste en les rendant moins rentables [6] même si le ministre saoudien du Pétrole Ali al-Naimi a démenti ultérieurement de telles intentions. Ceci refléterait peut-être aussi un contentieux entre Washington et Riyad sur le 11 septembre. Ce n’est sans doute que par rebond, effet mécanique, que l’Iran et la Russie subissent les effets de cette politique saoudienne sans que les deux pays en soient les principales cibles. Enfin, beaucoup plus banalement, le maintien des prix bas (quoiqu’une hausse des cours ait été enregistrée et devrait se poursuivre pour parvenir à un niveau d’équilibre sans doute inférieur à $100), découle aussi largement d’une décrue de la demande mondiale liée à la crise, y compris le relatif tassement de la demande chinoise, mais aussi, selon les Saoudiens, d’anticipations spéculatives sans rapport avec le marché [7]. Hors du tintamarre unanime d’imprécations et de condamnations iraniennes, de rares voix se sont élevées plus discrètement pour tenter de rétablir la vérité : le site Tabnak, contrôlé par Mohsen Rezaie, secrétaire du Conseil du Discernement, critique les journaux qui ont publié un grand nombre d’articles et analyses « irréalistes et exagérés » prétendant que la chute des cours était « une manœuvre que le gouvernement saoudien avait jouée avec le support des USA » [8]. Bijan Zanganeh, ministre du Pétrole, clôt en quelque sorte le débat en déclarant en début février à la télévision nationale : « Le surplus de pétrole a été la cause principale des baisses de prix dans les derniers mois [9] ». Il indique qu’il y a 2 millions de barils/jour en trop sur le marché, une situation qui devrait perdurer [10], selon lui, au cours du premier semestre 2015. D’après lui, cette tendance avait été identifiée lors des prévisions opérées en août 2014. Il reconnaît que les facteurs politiques ont joué un rôle, mais qu’il est difficile d’évaluer dans quelles proportions. Par prudence, voulant prévenir l’amplification des divisions de l’Opep, il évite de polémiquer sur les manœuvres baissières saoudiennes visant le gaz de schiste, leur accordant « le bénéfice du doute ». Mohsen Qamasari, directeur des relations internationales de la NIOC, concède que Riyad et Téhéran sont en concurrence sur les marchés asiatiques, doivent consentir des rabais sur les prix, et que l’Iran suivrait le même comportement que le royaume s’il était à sa place… [11].

Les conséquences du décès du roi Abdallah pour l’Iran

Le décès du roi Abdallah change-t-il la donne ? Sa disparition a naturellement retenu l’attention de tout l’establishment politique et religieux en Iran comme dans l’ensemble des communautés chiites. On se rappelle que le défunt fut un proche de plusieurs figures du chiisme, dont l’imam Musa al-Sadr ; il entretint de bonnes relations avec des religieux chiites comme le sheikh Hassan al-Saffar et Hashem al-Salman. Aussi, la désignation du nouveau monarque Salman bin Abdul-Aziz al Saud Salman suscite des interrogations en Iran. Le site Iran Diplomacy, qui appartient à Sadegh Kharazi - dont il ne faut pas oublier la méfiance épidermique à l’égard des Saoudiens découlant d’un ancien ‘contentieux’/désaccord ( ?) personnel avec eux dont la nature est mal connue - a publié une analyse d’un expert [12] prédisant que les relations bilatérales ne peuvent que poursuivre leur détérioration. Celui-ci pense que le clan Sudairi [13], renforcé par les nouvelles nominations, va privilégier des approches sécuritaires (la place accordée à Muqrin comme prince de la couronne et Mohammad bin Nayef en témoigneraient) par nature anti-iraniennes. Le même analyste s’effraie des rencontres organisées avec John McCain et 7 Républicains. Amir Mousavi, un réformateur, aurait aussi estimé que la nouvelle génération de décideurs saoudiens pose problème à l’Iran en raison de leurs relations avec les milieux salafistes et entrevoit que « si les tendances actuelles continuent », de fait, « les temps seront durs pour l’Iran, la Syrie, l’Irak ». De même, les commentateurs du « Young Journalists Club », un site lié à l’agence officielle IRIB, pensent que l’Arabie saoudite ne modifiera pas son attitude hostile envers l’Iran [14].

Un grand ressentiment règne, en particulier chez certains religieux iraniens, à l’endroit du roi Abdallah, du fait de la répression saoudienne contre les chiites majoritaires de Bahreïn, et à cause des menaces et des imprécations proférées par maints dirigeants saoudiens contre l’Iran diabolisé. Selon Ali Mamouri, analyste avisé [15], des célébrations (médiatisées outrancièrement par certains supports) se sont déroulées dans plusieurs localités iraniennes et irakiennes, inspirées par la rumeur que cette mort serait suivie, conformément à la légende chiite, par le retour du 12ème imam (le Mahdi). Bien plus, le chef de la prière du vendredi à Téhéran, l’Ayatollah Amad Jannati (célèbre président du Conseil des Gardiens de la Constitution, personnage-clé du régime bien que vieillissant), s’est réjouit de la disparition du monarque « qualifié de ‘Korah d’Arabie Saoudite’ », faisant écho à un corrompu. Rafsandjani a condamné ces propos qui ont « empiré la situation ». Des medias proches des ultras ont suivi Jannati, dont le journal Kayhan qui, après avoir fustigé le royaume pour avoir lancé une offensive contre l’Iran en entretenant la baisse des cours du baril par son refus de diminuer la production, n’hésite pas à attribuer aux monarques la responsabilité des désagréments du peuple saoudien. De façon plus étonnante, le journal modéré Etemaad, le 25 janvier 2015, souligne que le roi défunt a soutenu l’idéologie nourricière des djihadistes. En sens inverse, comme le souligne Ali Mamouri, « Au cours de rencontres successives avec l’ambassadeur iranien en Arabie saoudite, les autorités religieuses de Qom ont affirmé l’importance d’améliorer les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran ». A cette occasion, un dignitaire religieux, l’ayatollah Javadi Amoli, a condamné comme inappropriées les manifestations de joie et le comportement de Jannati [16] qui contraste avec l’attitude des dirigeants iraniens qui se sont immédiatement joints au cortège de messages officiels : Hassan Rohani comme Hashemi Rafsandjani ont immédiatement présenté leurs condoléances et Zarif s’est rendu à Riyad pour présenter les siennes tandis qu’une délégation irakienne de haut niveau, incluant le président Fouad Massoum et le président du parlement Salim al Jabouri, faisaient le même déplacement. Ali Mamouri relève que certaines personnalités politiques irakiennes ont critiqué l’ampleur de cette délégation alors que les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques [17].

Dès l’annonce de la désignation du successeur du roi Abdallah, les structures décisionnaires saoudiennes ont fait l’objet d’un remaniement aussi profond que très rapide (visiblement préparé) qui bouleverse tant les équilibres successoraux que les niveaux d’influence. Les signaux sont très contradictoires. Récemment, le prince Turki al-Fayçal, qui n’exerce plus de fonctions officielles, avait renouvelé des déclarations accusatoires contre les Iraniens. Ces derniers ne sont pas encore parvenus à convaincre Riyad d’accepter une véritable normalisation des relations bilatérales, ainsi qu’un front commun contre l’EI. Ceci est dû à plusieurs facteurs connus : les Saoudiens n’ont fait que commencer leur propre mutation vis-à-vis de l’EI et doivent lutter contre les tendances intérieures qui ne sont pas unanimes ; et surtout ils restent toujours viscéralement méfiants à l’égard des Iraniens ; l’Arabie saoudite a subi un véritable choc avec le coup de force des Houthis au Yémen, qui bénéficient de l’appui résolu et affiché de l’Iran.

La question des Houthis

Le gouvernement yéménite s’est effondré et une grande confusion règne puisque l’on ne perçoit pas encore comment ses successeurs vont organiser leur pouvoir, et composer avec d’autres acteurs. Un des nombreux paradoxes de cette situation est que les Houthis (tout comme l’Iran) étant en lutte frontale contre les islamistes d’al-Qaïda, une convergence implicite entre les objectifs des nouveaux maîtres du Yémen (donc de Téhéran !) et Washington se devine. Des rumeurs non confirmées font état de « contacts » entre forces spéciales américaines et Houthis, pour éliminer l’ennemi commun [18]. Cela étant, les propos de John Kerry accusant l’Iran d’avoir aidé les combattants Houthis d’Ansarullah à conquérir la capitale yéménite, Sanaa, et à faire tomber le gouvernement, ont été rejetés par les autorités iraniennes qui considèrent en plus que les déclarations américaines sont contradictoires [19]. Dans un contexte de refroidissement des relations « stratégiques » entre l’Amérique et la monarchie saoudienne (sur fond de révélations et de bruits sur la publication possible des 28 pages du rapport sur le 11 septembre mettant en cause des membres de familles princières [20]), ceci alimente la distance croissante entre le royaume et la République islamique. La très importante délégation américaine qui a assisté aux obsèques du roi défunt a de toute évidence profité de son passage pour conduire des entretiens avec les nouveaux dirigeants saoudiens. Il est probable qu’ils ont reçu de vigoureux encouragements à s’engager encore plus dans la lutte contre Daech, l’éradication interne des islamistes, mais aussi vers une certaine normalisation avec Téhéran. Sans faire preuve d’un excès d’imagination, on peut penser que les visiteurs ont informé leurs interlocuteurs de la volonté de la Maison-Blanche de parvenir à un accord nucléaire avec l’Iran (ce qui n’a pas dû ravir les Saoudiens [21]), et qu’ils les ont invités à se rapprocher des Iraniens avec pragmatisme (ce qui n’a pas davantage transporté d’enthousiasme ces mêmes Saoudiens). Il est très significatif que le royaume ne soit pas cité dans la section Moyen-Orient du nouveau document sur les priorités stratégiques américaines.

La nervosité de Riyad s’est accentuée au mois de mars, au fur et à mesure qu’approchait la date-limite de conclusion d’un compromis nucléaire ‘politique’ prélude à la finalisation de détails techniques. John Kerry a tenté de rassurer les dirigeants du Royaume dès la fin des rencontres de Montreux, affirmant lors de sa conférence de presse conjointe du 5 mars avec le ministre saoudien des Affaires étrangères Saud al-Faisal que Washington ferait preuve de la plus grande vigilance non seulement pour empêcher l’Iran de se doter d’une bombe atomique mais aussi pour prévenir les activités de ‘déstabilisation’ de Téhéran dans la région [22]. Il est éloquent que des commentaires de medias saoudiens [23] aient rejoint les critiques de Netanyahu contre ce compromis [24], approuvant ce dernier [25] d’avoir soulevé de « vrais problèmes ». Cette accélération a été encouragée par la perspective de ramener les deux phases de cet accord à une phase unique d’un accord intégrant les détails techniques aux principes directeurs ‘politiques’. Le 4 mars, le roi Salman et le président sud Coréen Park Geun-hye signent une lettre d’intention (Memorandum of Understanding : MOU), portants sur d’importants projets incluant notamment la construction de deux réacteurs destinés à la production d’électricité [26]. La date de cette annonce est-elle une coïncidence ? Elle a suscité de nombreux commentaires alarmistes rappelant que des dirigeants du royaume, dont Turki al-Faisal, avaient mis en garde Washington contre tout accord nucléaire qui conserverait à l’Iran des capacités d’enrichissement, et laissé planer la menace que Riyad pourrait répliquer en se dotant de moyens identiques [27]. Le 3 mars, la visite de Nawaz Sharif, Premier ministre pakistanais, (avant celle de J.Kerry ‘ [28]), a non seulement reflété la volonté saoudienne de renforcer un « axe sunnite » mais aussi de poursuivre la coopération bilatérale en matière d’énergie et de sécurité [29]. D’une part, les besoins pakistanais non satisfaits sont considérables. De l’autre, selon l’expert Simon Henderson, en échange de l’appui saoudien au programme nucléaire pakistanais, le royaume aurait la possibilité de bénéficier de transferts de technologie, voire de têtes nucléaires. Mais le Pakistan ne semble pas pour autant disposé à rejoindre une coalition menée par le Royaume et dirigée contre l’Iran. Pressé par Riyad de dépêcher des troupes à la frontière yéménite en échange de fournitures de pétrole et d’accords économiques, Nawaz Sharif n’a pas suivi l’exemple de Mohammad Zia ul-Haq qui avait déployé une brigade d’élite blindée de quelque 40.000 hommes demeurés plus de 10 ans. A présent, ne subsistent qu’une petite poignée de conseillers [30]. Sharif, selon les mêmes sources, s’est contenté de promettre une plus grande coopération, mais sans envoyer de troupes - pour l’instant - et de plus a refusé de déplacer son ambassade de Sanaa à Aden où les Saoudiens ont migré la leur. Il faut dire qu’Islamabad, dont les relations avec Téhéran sont compliquées, cherche à les conserver à un niveau apaisé, et souhaiterait importer du gaz iranien, un projet durablement contrarié par les sanctions et sans doute d’autres facteurs. Comme le disait Munir Akram, ancien représentant pakistanais à l’ONU, Islamabad voit de façon assez positive la perspective d’un accord nucléaire entre Washington et Téhéran (qui permettrait une levée des sanctions qui bloquent les fournitures de gaz iranien au Pakistan), tout en comprenant que ce ‘deal’ impliquera inévitablement la reconnaissance de facto de l’augmentation de l’influence iranienne dans le Golfe, ce qui alimente la sensation d’encerclement du royaume. Mais si Islamabad est prêt à aider Riyad à lutter contre les menaces terroristes, islamistes, etc, Akram pense que les Pakistanais sont en droit de demander à leurs interlocuteurs de bloquer les financements clandestins des islamistes qui opèrent au Pakistan ; et il estime « essentiel » de veiller à ce que la coopération sécuritaire pakistano-saoudienne « ne soit pas perçue comme dirigée contre l’Iran [31] ». Ceci suppose, note-t-il, une coopération effective entre l’Iran et le Pakistan pour éliminer les insurgés sunnites qui sévissent dans la zone frontière du Baloutchistan, et en second lieu, que les autorités pakistanaises « entreprennent des actions crédibles pour la protection complète de la minorité chiite au Pakistan. »

De nombreux décideurs saoudiens considèrent que l’Iran est une menace directe contre la sécurité de leur pays puisqu’il soutient les Houthis. La rengaine usée depuis de nombreuses années, et allègrement reprise par les dirigeants israéliens, leurs lobbyistes et les néoconservateurs à Washington, prétendant que les Houthis ne sont que des ‘marionnettes’ entre les mains de Téhéran, ignore (volontairement) ce que tous les analystes savent de longue date, à savoir que la rébellion Houthie a des causes particulières locales, et qu’incidemment les Houthis ne sont pas de véritables chiites. Ils appartiennent à une secte qui présente un certain apparentement avec le chiisme mais ne fait pas partie du chiisme duodécimain (qui reconnaît la succession des 12 imams, les Iraniens attendant le retour du dernier, le Mahdi). Cette différence religieuse n’empêche pas une convergence politique.

Téhéran a très banalement depuis longtemps une attitude opportuniste, saisissant l’occasion de la rébellion pour s’implanter, gêner des rivaux, ouvrir un abcès de fixation, bloquer des avancées saoudiennes, etc. L’échec de la stratégie saoudienne réside notamment dans le choix d’un appui financier à un pouvoir avantageusement faible, tandis que les Iraniens ont abondamment utilisé le vecteur de la propagande religieuse pour contrer l’influence de Riyad qui envoyait des prêcheurs salafistes qui non seulement contraient les Houthis mais aussi les Soufis dont les mosquées et lieux saints étaient détruits ou laissés se dégrader. Dans l’esprit saoudien, l’appui des Iraniens aux Houthis est la preuve de tous les noirs desseins de Téhéran. Or, la rébellion Houthie trouve essentiellement ses racines dans des conflictualités internes [32] étrangères à l’Iran qui ne fait que saisir des opportunités conformes à ses intérêts. Comme le souligne fort justement Maysaa Shuja al-Deen Voir son analyse fort nuancée : Iran’s shallow influence in Yemen, Al-Monitor, 12 janvier 2015., Téhéran a tiré profit de la désintégration du système politique yéménite en 2011, et ce que l’on appelle la « Gulf Initiative » n’a pu sauver un régime alignable sur l’Arabie saoudite. La présence iranienne contrarie visiblement maints adversaires, comme l’atteste le kidnapping du diplomate Nour Ahmad Nikbakht libéré en début mars par action (et négociation) des forces spéciales du ministère iranien des Renseignements [33].
La gestion du dossier yéménite par le royaume s’est délitée après le décès du Prince Sultan bin Abdulaziz en 2011, confiée au Prince Nayef Ali Bin Mohammed al-Hamdan décédé à son tour en 2012, pour être attribuée au Prince Ali Bin Mohammed al-Hamdan, ancien ambassadeur au Yémen. De la sorte s’alimente une sorte de défiance fondamentale à l’égard de Téhéran qui est ainsi accusé d’être le deus ex machina du changement de dirigeants au Yémen et de menacer son voisin d’encerclement, voire de mettre en péril son intégrité territoriale. Or, pour Riyad, le Yémen n’est pas à proprement parler un pays étranger, tant il fait partie de sa profondeur stratégique. N’oublions pas la présence de membres de tribus yéménites jusque dans les familles princières, une présence que l’on retrouve dans divers segments de la société saoudienne. D’où l’extrême sensibilité des décideurs du royaume face à toute tentative iranienne de s’insérer dans ce pré-carré.

Cette défiance est curieusement alimentée, selon Shahir ShahidSaless, par les déclarations de plusieurs responsables iraniens qui ont étrangement diffusé des messages proclamant avec un triomphalisme lourdement appuyé que le Yémen est désormais dans la sphère d’influence iranienne et fait désormais partie de « l’axe de la résistance » qui inclut le Hezbollah, la Syrie, les militants chiites irakiens [34]. D’autres déclarations rapportées par la même source vont dans un sens analogue : le 25 janvier 2015, l’hojjatoleslam Ali Shirazi, représentant du Guide auprès d’al-Qods, déclare qu’à l’image du Hezbollah libanais qui s’est constitué comme force sur le modèle des Bassiji, des « forces populaires ont été organisées en Syrie et en Irak (allusion aux milices chiites) et à présent on assiste « à la formation d’Ansarollah au Yémen ». Notre auteur relève aussi les propos du brigadier général Hossein Salami tenus un jour plus tôt : « Ansarollah est une copie identique du Hezbollah dans une zone stratégique ». Le 31 janvier, c’est au tour d’Ali Akbar Nategh-Nouri, personnalité politique d’un très grand poids, ancien vice-président du majlis (Parlement), de déclarer : « Nous constatons aujourd’hui que notre révolution est exportée au Yémen, en Syrie, au Liban et en Irak ». Le 16 décembre précédent, d’après la même source, Ali Velayati, conseiller du Guide, énonce que l’influence de l’Iran s’étend à présent « du Yémen au Liban ». Ce dernier ajoute : « Les frontières de la République Islamique sont maintenant transférées dans les points les plus éloignés du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la profondeur stratégique de l’Iran s’étend jusqu’aux côtes Méditerranéennes et au Détroit de Bab el-Mandeb ». Dans le même sens, Ali Reza Zakani, crédité d’être proche du Guide, avait déclaré que Sanaa est la quatrième capitale arabe après Bagdad, Damas, et Beyrouth sous contrôle iranien [35]. Selon la même source, un analyste iranien bien introduit avait prévenu dans une interview télévisée : « Nous sommes les nouveaux sultans du Golfe. Nous, (je veux dire) l’axe de la résistance : Téhéran, Damas, le district (sud de Beyrouth), Bagdad et Sanaa. Nous sommes ceux qui créeront la carte de la région et sommes aussi les sultans de la Mer Rouge. Souvenez-vous de Sayyed Hassan Nasrallah, le Secrétaire Général du Hezbollah et le maître de la résistance, quand il disait voici deux ans, je pense : Nous émergeons pour vous de la Méditerranée. Nous n’avons pas encore émergé de la Mer Rouge ». Il continue sur le même mode : « Maintenant, les puissants, ce sont les Yéménites, les pauvres, ce sont les Saoudiens. Ceci ne se juge pas en termes financiers, d’armement, ou d’appuis internationaux, mais du point de vue géopolitique et pour faire l’Histoire. Nous sommes à présent en situation de transformation [36] ». Le 8 mars 2015, Ali Younesi, ancien ministre des Renseignements sous la présidence Khatami, et conseiller du président Rohani pour les affaires religieuses et ethniques, déclare lors d’une conférence ‘Iran, Nationalisme, Histoire, et Culture’ que l’Iran est un empire : « Depuis sa naissance, l’Iran a (toujours) eu une dimension globale ; il est né empire ». Il rappelle que la culture et les parentés ethniques iraniennes comprennent une bonne part de l’Asie Centrale, une part du Caucase, et s’étendent jusqu’au Golfe Persique, Oman… Il ajoute (audacieusement) : « Dans la situation actuelle, l’Irak n’est pas seulement pour nous une sphère d’influence culturelle ; c’est aussi notre identité, notre culture, notre centre, et notre capitale ». Emporté par son élan, il proclame qu’il n’y a pas de raison pour une frontière entre Iran et Irak : « Nous devons soit nous combattre soit nous unir. Le but d’une telle union ne devrait pas être l’élimination des frontières ; plutôt, que tous les pays dans l’étendue iranienne, deviennent plus proches, vu que leurs intérêts et leur sécurité sont en connexion [37] ». Ces propos inquiétants ont suscité une vague de protestations dans la classe politique iranienne, et 109 députés (sur 290) ont demandé à Rohani de démissionner son vice-président, apparemment coutumier des déclarations inflammatoires [38]. Il aurait été convoqué devant un tribunal pour répondre de ce dérapage [39]. Les déclarations de Younesi ont, comme on pouvait s’y attendre, créé une vive émotion dans les medias arabes qui ont reflété l’inquiétude générée par la promotion d’un « Grand Iran ». Le ministre irakien des Affaires étrangères aurait également réagi. Ali Larijani, président du Majlis, s’est employé à dissiper le malaise sur une chaîne télévisée koweïtie, assurant que « personne en Iran ne cherche à ressusciter les anciens empires » [40] Devant l’émoi ainsi causé, Younesi a publié une mise au point où il tente de convaincre que ses paroles ont été déformées, mal traduites par des medias arabes (il s’agit surtout d’Al-Arabiya et de CNN en arabe) et qu’il ne souhaite pas l’émergence d’un empire mais le développement d’une « union », solidaire, de voisins contre les « menaces communes ». [41]

Voilà qui est fort troublant et semble contredire le diagnostic porté sur la réalité des objectifs iraniens au Yémen par nombre de chercheurs et experts sérieux, ce qui pourrait donner raison aux craintes saoudiennes. Il y a là un vrai débat que Shahir ShahiSaless n’élude pas, d’autant que des éléments de l’appui matériel de l’Iran aux Houthis ont été mis en évidence. En 2013, une cargaison d’armes avait été saisie sur le bateau « Jihan 1 ». Il nous rappelle qu’Ali Al-Bukhaiti, membre important de l’organe politique des Houthis, avait démenti que l’Iran soit « assez stupide pour envoyer cette grande quantité d’armes en sorte d’offrir une preuve facile sur lui-même », ajoutant que Téhéran aurait pu plus simplement envoyer de l’argent aux intéressés pour qu’ils achètent des armes sur le marché local ou à des trafiquants africains. Cette explication n’est pas totalement convaincante quand on sait que Téhéran manque de devises (sanctions oblige) et préfère fournir une aide en nature. A défaut, ouvrir des lignes de crédit.
Aussi, notre auteur se pose (et nous avec lui) la question centrale : pourquoi des personnalités officielles iraniennes ont- elles décrit le Yémen comme zone d’influence, axe de la résistance, etc… ? Il propose deux réponses : la première est que l’Iran n’a pas vraiment offert une véritable assistance matérielle aux Houthis mais qu’il s’agit d’une stratégie déclaratoire ciblant un auditoire intérieur ou régional qu’il conviendrait de persuader de ce que les percées Houthies sont une victoire mythique contre l’Occident, les adversaires sunnites, etc. Il estime qu’en exagérant ces succès militaires, ces déclarations visent à conforter les fidèles militants de base en Iran et à l’étranger (Irak, Syrie, Liban) tout en plaçant leurs adversaires dans une position de faiblesse défensive. Une des lacunes de cette explication, dûment relevée par notre auteur, est que l’ampleur de la percée Houthie ne peut se concevoir sans une aide significative en matériel que les seuls combattants ne pourraient se procurer par leurs maigres moyens. La seconde hypothèse, à l’inverse de la première, retiendrait que les accusations de l’ancien président yéménite sont exactes, et que les Iraniens sont effectivement impliqués dans ces combats, et ont réellement les ambitions qu’ils proclament et ont fourni en conséquence l’assistance correspondante.

Alors pourquoi les Houthis démentent-ils cette réalité ? Il rapporte les propos d’un responsable politique de ce groupe ; ce dernier voudrait éviter de susciter une résistance contre lui au Yémen et en dehors. Par ailleurs, le modèle irano-hezbollah n’est pas transposable dans ce pays car, selon lui, les sunnites y sont plus nombreux que ceux qui comme les Houthis se réclament d’une branche proche du chiisme. Les Houthis voudraient éviter une fragmentation du Yémen. Pour notre part, nous pensons que les proclamations iraniennes de grandes ambitions, par leur démesure au regard des moyens limités (déjà sollicités par les fronts irakiens et syro-libanais) de Téhéran en période de vaches maigres, plaident, mais seulement partiellement, pour la première hypothèse : stratégie déclaratoire vis-à-vis d’auditoires ciblés. Cette pratique est assez courante en Iran ; l’exemple le plus emblématique en la matière est la foultitude de propos émis régulièrement par nombre de responsables (pas seulement Ahmadinejad ou des ultras) souhaitant la disparition de l’Etat d’Israël, avec ou sans élimination des juifs. Ces déclarations insensées ont invariablement pour effet de susciter indignation, émoi, fureur, raidissement chez des opinions extérieures, ravissant au contraire certains auditoires intérieurs ou alliés dûment ciblés. L’inconvénient majeur de cette tactique, qui reflète un autisme assez couramment répandu chez les décideurs iraniens, est qu’elle engendre des effets pervers et perturbations que les émetteurs n’avaient pas prévus. Nous pensons malgré tout que cette première explication est insuffisante pour répondre à la question posée, et qu’au vu de la réalité de l’assistance iranienne au moins en matériel, et sans doute avec quelques conseillers, une part non négligeable de la seconde hypothèse entre dans ce calcul, mais nous en ignorons la répartition.

In fine, ne pouvant que constater malgré tout que les milices Houthies n’ont pas été créées par l’Iran mais trouvent leurs racines au sein du pays, il nous faut nous tourner vers les objectifs iraniens. Ils sont finalement aisément identifiables : effrayer les Saoudiens (on a vu que les déclarations citées plus haut s’y emploient), car les Iraniens vivent comme eux dans la crainte « paranoïaque » que leur inspire un environnement hostile. Et puis, ayant gagné des points d’appui dans le monde arabe par le Hezbollah, constitué un axe avec la Syrie et l’Irak, l’Iran se réjouit d’avancer des pions au Yémen pour y poser de nouveaux points d’appui stratégiques destinés à affaiblir la posture saoudienne perçue comme menaçante pour l’Iran en Irak, en Syrie et au Liban. En pesant sur le flanc yéménite de l’environnement saoudien, avec une possibilité d’extension de son dispositif vers la Mer Rouge, Téhéran a touché le flanc faible de la profondeur stratégique de Riyad. Les développements observés au cours du mois de mars permettent de mieux percevoir cet objectif d’encerclement [42] Les Iraniens ont affiché l’acquisition de cette position de force avec une célérité inégalée. Le 12 mars, des milliers de combattants houthis ont mené des exercices dans la région d’al-Buqa, proche de la frontière saoudienne, impliquant l’usage d’armes lourdes provenant de l’armée yéménite. Des éléments issus de cette armée y ont d’ailleurs pris part. Initialement, les autorités saoudiennes n’ont pas réagi officiellement à ces entraînements qui n’ont pas manqué de les inquiéter. Selon Reuters, Khaled al-Attiya, ministre qatari des Affaires étrangères, s’est contenté de déclarer au sortir d’une réunion du Conseil de Coopération du Golfe que les membres de l’organisation avaient « assez de moyens de protection de leurs territoires et de leur souveraineté » [43]. Dès la conquête de la capitale yéménite de Sanaa, un premier avion iranien chargé de matériel y a livré sa cargaison un jour après la signature d’un accord entre les nouveaux maîtres yéménites d’Ansarullah et Téhéran, rapidement suivi d’un second vol. Au début du mois, une délégation houthie comprenant des représentants de plusieurs ministères et des experts de l’économie I [44], conduite par Saleh al-Samad, chef du conseil politique d’Ansarullah, a conclu des accords de coopération à Téhéran dans des domaines variés (transport maritime, énergie, banque, commerce, industrie…) comprenant notamment la fourniture de pétrole pendant un an [45], et son aide pour construire une centrale électrique, l’étude de la construction d’autres centrales dans les ports de Hodeida, Aden et Mukha, la remise en état de celle de Marib. Mais, encore plus significatif, le projet d’extension du port de Hodeidah sur la Mer Rouge, le plus important port du pays après Aden, revêt une dimension stratégique [46].

Les milices Houthies ont tiré parti du chaos pour conserver les localités déjà contrôlées et se répandre dans le pays, mais ces succès ne peuvent pas cacher les nombreuses inimitiés tribales qu’ils ont suscitées. Les Houthis ont aussi profité de ce que Islah, le groupe concurrent affilié aux Frères musulmans, ne s’est pas opposé à leurs avancées, contrairement aux faux-espoirs Saoudiens. Riyad espérait une neutralisation réciproque et a fait preuve d’une certaine inaction témoignant d’un réel aveuglement sur cette situation [47].

Or, les Saoudiens qui ont largement laissé les islamistes partir du royaume vers le Yémen pour renforcer les djihadistes, sont assez mal placés pour donner des leçons. Mais on perçoit une forte anxiété à Riyad, puisque des troupes saoudiennes ont été massées à la frontière yéménite et ont été renforcées par un contingent égyptien, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Cela signifie que les troupes saoudiennes, quoique surabondamment équipées, n’ont pas de capacité opérationnelle car elles n’ont pas d’expérience de vrais conflits armés. Bien plus, la fiabilité de ces troupes n’est peut-être pas assurée car elles pourraient être infiltrées par des islamistes. La réaction saoudienne face à la déstabilisation de ce flanc yéménite reflète un évident désarroi, l’absence de stratégie devant des évolutions manifestement imprévues. Après la fuite hors du pays de l’ancien président Abd Rabbuh Mansour Hadi, la fermeture de l’ambassade saoudienne (et celle d’autres pays), Riyad a abrité une réunion du Conseil de Coopération du Golfe (officiellement convoquée par Hadi), à laquelle les représentants Houthis d’Ansarullah ont refusé de se joindre [48]. Ils n’ont pas accepté la condition posée à leur présence de reconnaître la légitimité du président exilé. Une imposante manifestation s’est déroulée à Sanaa pour protester contre une telle exigence considérée comme une inacceptable ‘ingérence saoudienne et américaine’ [49]. Les Houthis ne semblent pas encore prêts à accepter un partage du pouvoir ni des compromis avec leurs prédécesseurs et ont affiché un violent sectarisme à l’encontre de leurs opposants sur lesquels ils n’hésitent pas à tirer et faire usage de répression, signaux de mauvais augure.

Lire la partie 2 :Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite à l’heure des choix (2/2)

Notes :

Publié le 19/03/2015


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


Zones de guerre

Iran

Diplomatie