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Tewfick Aclimandos est un politologue et historien égyptien. Il est Docteur d’Etat de l’IEP de Paris. Sa thèse portait sur les officiers activistes de l’armée égyptienne : 1936/54. Chercheur ou chercheur associé au CEDEJ de septembre 1984 à août 2009, il est chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France depuis octobre 2009. Ses travaux portent sur l’histoire de l’Egypte depuis le traité de 1936, notamment sur le mouvement des Officiers libres, Nasser, l’armée égyptienne, les Frères musulmans et la politique étrangère de l’Egypte.
Tewfick Aclimandos analyse pour Les clés du Moyen-Orient le déroulement mais aussi les conséquences des élections présidentielles égyptiennes.
Le taux de participation [1] Il s’élève à 47,5% à la suite de cette journée supplémentaire. n’est pas en soi faible, surtout si on prend en compte le fait que l’issue du scrutin était connue à l’avance et le fait qu’il y avait des menaces islamistes sur la sécurité. Le jour supplémentaire n’a ajouté que deux ou deux millions et demi d’électeurs - et ils auraient peut être fait l’effort d’aller voter le second jour s’ils avaient pensé que c’était le dernier.
Le problème est que l’équipe de campagne d’Al Sissi et les médias l’appuyant avaient mis la barre très haut : ils voulaient au minimum trente millions de oui pour ce dernier, voire plus, ce qui était clairement irréaliste. Al Sissi avait fixé cet objectif pour faire nettement mieux que Mohammed Mursi - l’objectif a été atteint, il recueille environ le double. Il voulait également prouver que les chiffres avancés par l’armée pour évaluer le nombre de manifestants ayant participé le 30 juin 2013, et qui ont été contestés par les Frères, correspondent à la réalité ou ne s’en éloignent pas trop. Pour ne rien devoir à personne - quand votre victoire est étroite, vous devez des choses à certains de vos appuis. D’où un mouvement de panique quand il est apparu que les chiffres ne seraient pas atteints - je suis quant à moi étonné par leur étonnement.
Ajoutez à cela que la participation est inégalement répartie - en des lieux on a voté en masse, en d’autres pas du tout. Il était donc facile de sous estimer le taux de participation - j’ai commis les premières heures la même erreur. Encore maintenant, la carte électorale est mal connue. Mais il est clair qu’il reste encore des bastions islamistes, comme il y a quelques bastions de la gauche ou du nassérisme. Il y a, économiquement parlant, au moins trois Égyptes - une qui a ressemblé à un petit tigre asiatique (Le Caire, le nord du canal de Suez) ; une qui a une performance économique moyenne (Alexandrie, le Delta) ; une qui est très pauvre. Dans certains gouvernorats, le phénomène tribal compte, dans d’autres non. Dans certains coins, les notables ruraux ont encore une influence énorme, dans d’autres non, etc… Il est donc difficile d’expliquer la diversité des taux de participation selon les endroits.
La jeunesse égyptienne est, comme toutes les autres, plurielles ; les variables clés sont grandes villes/villes de province/campagne, détention ou non de diplôme universitaire, degré d’instruction, position par rapport à l’islamisme, classe sociale. Une fois ceci rappelé, il faut voir que la jeunesse a réussi à faire tomber deux présidents en deux ans et demi et que, quand elle se mobilise vraiment dans sa totalité, elle pèse très lourd. Le problème est qu’elle n’est pas capable de s’unir sur des propositions (ce qui est normal, après tout) et qu’elle est divisée sur l’identification de ses ennemis « prioritaires » et sur la marche à suivre.
Les Frères musulmans se sont avérés incapables de comprendre les aspirations de la jeunesse et son rejet des relations d’autorité prévalant dans la société (en famille, au travail, dans les formations politiques). L’armée, et notamment le maréchal, fait l’effort d’écouter et de discuter avec les jeunes. Mais je crois qu’ils ont tendance à ne pas perdre l’espoir de « canaliser » les énergies de la jeunesse, sans voir que cette jeunesse ne veut pas forcément être « canalisée »… ou à ne pas comprendre tout ce qui leur est dit. Il est clair que le maréchal Al Sissi a un problème avec une proportion significative de la jeunesse détentrice de diplômes universitaires ET issue des classes moyennes des grandes villes. Et on ne sait pas s’il mesure l’ampleur dudit problème et si oui, s’il compte tenter de le résoudre ou s’il estime plus pertinent de l’ignorer et de s’appuyer sur d’autres jeunes.
Je n’ai pas vu ce rapport, mais si ce que vous en dîtes [3] le résume bien, ce rapport a tout faux. La force de frappe électorale d’Al Sissi est l’électorat féminin (en général beaucoup plus conservateur qu’on ne le dit) et l’électorat copte (mais aussi les fonctionnaires et les couches défavorisées fragilisées par l’instabilité). Ses électeurs sont reconnaissants parce qu’il a mis un terme à une année cauchemardesque sous les Frères musulmans. Qu’attendent ces minorités ? on ne sait pas au juste, mais beaucoup d’observateurs les disent plus réalistes qu’on ne le croit : elles savent qu’il ne fera pas de miracles, mais elles veulent des gestes montrant qu’il prend au sérieux les demandes de justice sociale, de bons résultats économiques et de sécurité. Et, pour certains, beaucoup plus nombreux qu’on le dit, des gestes montrant qu’il ne va pas étouffer les libertés publiques et privées.
Avec les pays voisins les choses semblent claires : les principaux alliés de l’Égypte non islamiste sont l’Arabie saoudite, les Émirats, et même si cela demeure tabou Israël. L’Égypte est entourée par deux pays où des entités où les islamistes jouent un rôle crucial, voire hégémonique : le Soudan, Gaza, et un pays dans le chaos, la Libye. On ne sait pas si les deux pays islamistes vont tenter de normaliser leurs rapports avec le nouveau pouvoir ou s’ils vont continuer à lui faire une pas drôle de guerre. On ne sait pas si et comment l’Egypte interviendra en Libye… Plus généralement, l’effondrement de la Syrie et de l’Irak poussera l’Égypte et ses alliés à resserrer les rangs, mais risque aussi de les fragiliser considérablement.
La situation en Égypte est critique et le nouveau pouvoir a d’énormes défis à relever, notamment dans les domaines de la sécurité, de l’économie, de la réforme de l’État et de la justice sociale. La dialectique entre les deux premiers est complexe. Dans l’ensemble, on peut dire que le pays doit créer pendant deux décennies plus d’un million de nouveaux emplois par an, que pour ce l’épargne égyptienne ne suffit pas, les investissements étrangers sont nécessaires - mais ceux-ci ne reviendront pas tant que les comptes de l’État sont aussi désastreux, et les finances de l’État ne s’amélioreront pas tant que l’activité touristique ne reprend pas et tant que la fraude fiscale est ce qu’elle est… et l’activité touristique ne reprendra pas tant que le problème de la sécurité et du terrorisme n’est pas réglé.
A lire, en lien avec cet entretien sur Les clés du Moyen-Orient :
http://lesclesdumoyenorient.com/Comment-certains-acteurs-ont-percu.html
http://lesclesdumoyenorient.com/La-mission-d-observation.html
http://lesclesdumoyenorient.com/Elections-presidentielles-en.html
Tewfic Aclimandos
Tewfic Aclimandos est politologue et historien égyptien. Docteur d’Etat de l’IEP de Paris, (thèse sur les officiers activistes de l’armée égyptienne : 1936/54). Chercheur ou chercheur associé au CEDEJ de septembre 1984 à août 2009, il est au collège de France depuis octobre 2009. Ses travaux portent sur l’histoire de l’Egypte depuis le traité de 1936, notamment sur le mouvement des Officiers libres, Nasser (biographie en préparation), l’armée égyptienne, les Frères musulmans et la politique étrangère de l’Egypte.
Emilie Polak
Emilie Polak est étudiante en master d’Histoire et anthropologie des sociétés modernes à la Sorbonne et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle suit également des cours de géographie.
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