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Crédit photo : TEL AVIV, ISRAEL - JULY 27 : People gather to protest Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu’s judicial overhaul plan, in Tel Aviv, Israel on July 27, 2023. Protesters chanted slogans against the extreme right-wing coalition led by Netanyahu and its judicial regulation Netanyahu’s coalition is prepared to set the bill that would reduce the Supreme Court’s control over the government in the controversial judicial regulation to the General Assembly of the Assembly.
Mostafa Alkharouf / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Le Parlement israélien a voté ce lundi 24 juillet une partie essentielle de la réforme visant à remodeler le système judiciaire du pays malgré les manifestations massives et l’opposition de milliers de réservistes de l’armée israélienne. La réforme accentue la polarisation de la société israélienne, déjà profondément fragmentée.
« Nous avons fait un premier pas dans un processus historique ». Alors que le Parlement vient de voter une mesure clé de la réforme judiciaire controversée lors d’un vote boycotté par l’opposition, le ministre de la Justice Yariv Levin exulte. Au total, les 64 députés de la coalition du Premier ministre ont approuvé lundi une mesure qui empêche les juges d’annuler les décisions du gouvernement au motif qu’elles sont « déraisonnables ». Un tournant pour le fonctionnement des institutions israéliennes. Selon le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité Nationale, ce vote « n’est que le début » [1].
Vivement critiquée à l’international par le président américain Joe Biden, la réforme de la justice a créé une forte opposition à l’intérieur du pays, réunissant diverses composantes de la société autour de manifestations monstres depuis plusieurs mois. Outre les préoccupations de plusieurs anciens responsables des services de renseignement, de syndicats, de représentants de la justice, et du puissant monde de la tech israélienne, c’est surtout la mobilisation des réservistes qui a marqué les esprits. Plus de 10 000 réservistes, qui constituent un pilier de l’institution militaire israélienne, ont menacé de suspendre leur service si la réforme était votée. Selon le politiste Samy Cohen, chercheur au CERI Sciences Po, « ce genre d’action n’est pas totalement nouveau. En mars 1978, 378 officiers adressent une lettre ouverte - intitulée « La lettre des officiers » - au Premier ministre, Menahem Begin pour qu’il poursuive les accords de paix avec l’Egypte. Et durant la guerre du Liban en 1982, des réservistes ont également fait pression pour que les combats cessent. Néanmoins, l’opposition actuelle des réservistes est massive, elle a une portée inédite ». En Israël, cette mobilisation soulève des inquiétudes sur les divisions au sein des forces armées, dont les corps d’élite dépendent largement des réservistes, « les conséquences pourraient être graves. Cela risque de désorganiser le système de l’armée israélienne fondée sur, d’un côté, les soldats en service obligatoire (trois ans) et de l’autre, les réservistes qui en sont une composante très importante. En cas de danger majeur, Israël ne peut compter que sur cette réserve de combattants pour se défendre. Le chef d’état-major de l’armée israélienne Herzi Halevi a assuré que cette défection constitue une menace pour la sécurité d’Israël ».
Malgré cette opposition hétéroclite à la réforme, Benyamin Netanyahou reste sourd. Le Premier ministre israélien cherche avant tout à se maintenir au pouvoir. Le vote de cette réforme est son seul moyen pour y parvenir. « Contraint de choisir entre le bien-être de l’armée et sa coalition, M. Netanyahou n’a pas hésité un seul instant » [2], selon le journaliste du quotidien Haaretz, Amos Harel.
Pour se maintenir à la tête du gouvernement et éviter la prison [3], Benyamin Netanyahou ne peut plus compter que sur ses alliés des partis religieux et d’extrême droite selon le chercheur Samy Cohen, « les députés d’extrême droite ont menacé de quitter la coalition gouvernementale si la réforme n’était pas votée, ce qui mènerait le pays vers de nouvelles élections ». Un nouveau scrutin que le chef du Likoud, en baisse dans les sondages, cherche à éviter. Selon un récent sondage réalisé par la chaîne 12, si les Israéliens se rendent une nouvelle fois aux urnes aujourd’hui, les partis de la coalition actuelle n’obtiendrait que 54 sièges sur 120, soit 10 de moins qu’au cours des élections de novembre dernier. L’opposition, de son côté, l’emporterait avec une courte majorité d’au moins 61 sièges. « Si le chef du gouvernement suspend ce projet de réforme, sa chute serait assurée » indique Samy Cohen, « Benyamin Netanyahou s’avère être le Premier ministre le plus faible de l’histoire d’Israël. Aujourd’hui, il est incapable de prendre des décisions sans le soutien des députés fondamentalistes, il n’a quasiment plus aucune marge de manœuvre ».
Pour ses partisans, la réforme vise à diminuer les prérogatives d’une justice considérée comme acquise à la gauche, au profit des députés, représentants directs du peuple. « Selon eux, la réforme participe à un rééquilibrage du pouvoir » indique le chercheur indépendant Thomas Vescovi. Pour ses détracteurs, la réforme, dénoncée comme un « coup-d’état » [4] passé sans concertation, est au contraire une attaque contre la démocratie car elle porte profondément atteinte à un contre-pouvoir important, protecteur des minorités : le pouvoir judiciaire. Les opposants à la réforme considèrent que le vote de ce lundi est un premier pas vers un glissement autoritaire du pays selon la « tactique du salami [5] ».
Le débat autour de la réforme a mis à jour les profondes divisions à l’œuvre en Israël au sein de la majorité juive. Loin d’être la démonstration d’une société saine, aux idées plurielles, ces fractures témoignent au contraire de dissensions profondes concernant la nature même de l’Etat hébreu qui menacent la cohésion de la société israélienne. La mobilisation des réservistes constitue aujourd’hui le symbole de ces fractures, car l’armée constitue habituellement l’un des principaux piliers de l’identité juive-israélienne.
Selon le chercheur Thomas Vescovi, le pays est marqué par plusieurs divisions majeures qui se juxtaposent et se rencontrent autour du débat sur la réforme : « Deux Israël se font face. Les partisans de l’opposition sont majoritairement composés de la classe moyenne et des populations aisées, principalement ashkénazes, vivant sur les villes côtières et dans les localités du nord du pays, dont les kibboutz. Pour eux, la justice est protectrice des minorités dans le pays. De l’autre côté, les classes populaires, à majorité séfarades, issues du centre et du sud du pays ou encore des colonies de Cisjordanie, soutiennent la droite et ses alliés. Une large partie d’entre eux perçoit les juges comme représentants de l’élite ashkénaze coupée du peuple ».
Ces divisions irrémédiables sont le résultat d’années de discours politiques ayant contribué à la fragmentation de la société selon le chercheur, « du côté de l’opposition, on assiste ces récentes années à un discours virulent contre les ultra-orthodoxes, qui ne participent pas à l’effort de guerre car ils ne font pas le service militaire, et qui ne participent pas à la vie économique de l’Etat puisqu’ils travaillent rarement et ne payent donc pas d’impôts. D’un autre côté, Benyamin Netanyahou et ses alliés actuels critiquent violemment les laïcs, les libéraux, qui constituent selon eux une menace pour Israël et les valeurs juives. La fracture est forte entre les deux camps, elle alimente les divisions au sein de la société, et fragilise les chances de compromis ».
Dans ce contexte extrêmement polarisé, le système politique parlementaire qui repose sur la formation de coalitions gouvernementales, et donc sur le principe de compromis, est dysfonctionnel. La fragilité des coalitions gouvernementales et les élections à répétition ces récentes années sont les symptômes de cette crise politique.
Selon les médias israéliens, il faudrait compter un délai de plus d’un an avant que le reste de la réforme ne soit présenté au Parlement [6]. Entre-temps, le Premier ministre Netanyahou devrait comparaître dans son procès pour corruption. L’évolution de la situation en Israël dépend de la capacité du gouvernement à se maintenir et de la mobilisation des manifestants, qui se sont réunis le 25 juillet pour organiser la suite de la contestation. D’ici là, la crise politique et existentielle que traverse Israël risque de se renforcer.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
Notes
[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/25/en-israel-le-gouvernement-impose-au-forceps-le-premier-volet-de-sa-reforme-de-la-justice_6183272_3210.html
[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-07-26/ty-article/.premium/unblinking-netanyahu-remains-unmoved-by-the-clear-and-present-threat-to-israels-security/00000189-8e80-d57b-a1ef-9f9013260000
[3] https://apnews.com/article/israel-netanyahu-corruption-trial-courts-4e18ed8f34e65707bd47e37696da4705
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