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L’islamisme est une idéologie politique qui tend à faire du corpus religieux un programme politique. L’islam politique s’élabore au XIXe siècle, les dimensions idéologique et politique prenant progressivement le pas sur les dimensions culturelle et intellectuelle dans le courant des années 1920-1930.
Hassan al-Banna est, tout comme Jamal ad-Din al-Afghani (1839-1897) ou encore Sayyid Qutb (1906-1966), une des figures marquantes de ce basculement.
Au cœur de l’islamisme se trouve la volonté politique de raviver le concept de l’oumma, la communauté des croyants, et par là de rétablir l’unité du monde musulman. L’idée de l’oumma est liée aux premières années de l’islam, au temps du prophète, période mythifiée par l’ensemble des fidèles. C’est la seule notion permettant de dépasser les divisions traditionnelles de l’islam qui sont autant de traumatismes dans l’histoire musulmane dès le début de l’ère omeyyade.
La question de la succession est à la base de la première grande fracture. Par islam des origines, on entend généralement le temps du prophète et des quatre califes qui lui ont succédé : Abou Bakr, Omar, Uthman et Ali furent aussi ses disciples. Le salafisme renvoie à ce retour aux Anciens, période de consensus où l’oumma était unifiée, soit la seule période dont la référence fait autorité chez tous les musulmans. Le problème de la succession se pose pendant le califat d’Ali (656-661) : faut-il privilégier la règle du sang, et donc choisir un calife dans la lignée familiale du prophète (et donc d’Ali son gendre et cousin) ou la règle de la compétence ?
Finalement, c’est une dynastie lointainement reliée au prophète, la dynastie des Omeyyades, qui s’empare du pouvoir par un coup de force et reçoit le titre de calife. Ils dépossèdent la lignée d’Ali, créant un shiisme irrémédiable entre les musulmans, les sunnites qui leur sont fidèles et les chiites qui restent fidèles à Ali. Dotée d’une légitimité religieuse et politique faible, les Omeyyades ont dû, pour y pallier, renforcer l’institutionnalisation du pouvoir politique, d’où la première dérive, les califes tendant à devenir plus des sultans que des dignitaires religieux. Parallèlement à la politisation de l’institution, et pour répondre au besoin de légitimité du calife, se construit une instance religieuse quasi officielle, à l’origine de la seconde dérive, la politisation du corps des oulémas. Contrairement à l’idée de l’oumma, on assiste progressivement à la division et l’organisation du corps des oulémas, lié de facto au pouvoir politique puisque que le mufti est par exemple un fonctionnaire de l’Etat. La période omeyyade coïncide finalement avec une double déchirure : religieuse d’abord avec la distinction sunnite/chiite, communautaire ensuite avec l’intégration des populations qui ne sont pas toujours arabes et islamisées comme les Persans.
Ces fractures ont longtemps été refoulées car, jusqu’au début du XXe siècle et la fin de l’Empire ottoman, le gouvernement était musulman et regroupait la presque totalité des fidèles. La fonction des oulémas était de légitimer le pouvoir autoritaire du calife ou du sultan, quelque soit ses actions, car pire qu’un mauvais gouvernant, il fallait éviter la fitna, qui se réfère un état de guerre civile et de querelle interminable entre les croyants.
Dans la tradition musulmane, deux mondes coexistent : Dar al-islam ou Maison de la paix et Dar al-harb ou Maison de la guerre, soit la sphère des non-musulmans, la terre des impies. Concrètement, la Dar al-harb regroupe les pays qui ne respectent pas la loi musulmane, et donc souvent les Etats dont le gouvernement n’est pas musulman. Elle est soit perçue comme une terre à conquérir et à islamiser, soit une sphère avec laquelle l’oumma doit coexister. La priorité reste, dans les deux cas, d’empêcher la sphère impie de conquérir la Dar al-islam. La présence européenne en terre d’islam est donc perçue comme une menace qui réactive également toutes sortes de traumatismes en réveillant les points de fracture qui divisent le monde musulman.
Face à l’occident, l’islam est perçu comme la solution la plus appropriée, les islamistes se référant au concept a-historique qu’est l’oumma qui permet de se placer hors de l’histoire, en construisant une société utopique, en réaction à la modernité qui participe à provoquer dans le « corps social » de l’islam des phénomènes d’atomisation, de perte de repères. Malgré leurs divergences, un point est reconnu par l’ensemble des islamistes, la charia doit être la seule constitution de l’Etat. Elle se fonde sur trois sources : la parole immuable de Dieu inscrite dans le Coran qui organise les relations entre l’Homme et Dieu et entre les hommes ; la sunna qui relate les faits et gestes du prophète d’après ses disciples, référence ultime pour éclairer le Coran selon les islamistes ; le Hadith, c’est-à-dire la « conversation », qui regroupe les paroles du prophète.
L’islamisme, d’abord mouvement intellectuel et culturel, évolue progressivement vers une tendance plus politique jusqu’à pouvoir distinguer schématiquement deux grandes traditions au sein de l’islamisme politique qui se différencie sur le point de la légitimation des sultans et des califes. Pour l’école pragmatique ou quiétiste, mieux vaut un pouvoir autoritaire que la fitna destructrice pour l’oumma. Cette tradition se concrétise par un contrat implicite, politique et social, entre le corps des oulémas et le corps politique (régime wahhabite en Arabie saoudite notamment). En contrepartie de ses avantages, le premier garantit la légitimité religieuse du second. L’école radicale refuse quant à elle la soumission du corps religieux et plus généralement des musulmans à la politique arbitraire du prince. Elle se veut la gardienne de l’orthodoxie des premiers temps et, à ce titre, prétend qu’il est possible voire préférable de renverser un prince illégitime. La première branche est plutôt favorable à une islamisation par le bas ; la seconde à une islamisation par le haut. Certaines branches de l’école radicale utilisent la violence politique, qui a par exemple abouti à l’assassinat du président égyptien Sadate en 1981.
Dans la lignée des premiers réformateurs de l’islam du XIXe siècle et proche de l’islamisme pragmatique, Hassan al-Banna, qui est aussi le grand père de Tariq Ramadan, est un des précurseurs de la politisation de l’islamisme qui souhaite allier idéal, en se fondant sur les sources du Coran, et pragmatisme, en étant conscient des enjeux de son temps. Né en 1906 à Mahmudiyya, près d’Alexandrie, Hassan al-Banna est initié dès son plus jeune âge aux préceptes de l’islam par son père, horloger de profession et férue des sciences islamiques, qui le pousse à étudier le Coran par cœur et la langue arabe. Préférant l’Ecole normale du Caire au cursus universitaire classique d’al Azhar, il devient instituteur et l’un des principaux et des plus influents prédicateurs de son temps. Il commence à prêcher dans les cafés, les mosquées et divers lieux de rassemblement de la capitale.
En 1928, au moment de la montée des mouvements radicaux toutes tendances confondues, il fonde la confrérie des Frères musulmans, terme emprunté aux premiers califes. Cette association, qui devient célèbre sous le nom des Frères musulmans, tente de raviver le sentiment religieux des musulmans, épuré des superstitions et des croyances populaires perçues comme déviantes. Il gagne de nombreux croyants à sa cause en jouant sur sa proximité avec les différentes populations, notamment les jeunes et les plus démunis. Son action sociale lui permet en effet d’assurer une base sociale solide au mouvement. La confrérie crée des associations de charité, des mosquées ou encore des écoles et des universités. Elle gagne progressivement en influence en s’appuyant sur des relais implantés sur tout le territoire. Plus qu’une organisation sociale et religieuse, la confrérie se veut aussi très active sur le plan politique.
Car en créant les Frères musulmans, Hassan al-Banna ambitionne de revenir à l’Etat islamique des premiers temps, de reconstruire l’oumma sur les décombres de l’impérialisme des Britanniques d’une part, de la classe politique égyptienne corrompue et vendue aux Anglais d’autre part. La référence à l’islam des origines doit permettre de trouver des réponses théologiques à la crise existentielle que traverse le monde musulman. Il ne distingue pas politique et religion, l’alliance des deux devant permettre de réaliser les objectifs que se fixe la confrérie, soit faire revivre l’islam et éduquer le monde à ses principes. Il milite dans ce sens pour la restauration du califat.
En 1948, l’influence de l’association est telle qu’elle peut envoyer un groupe de volontaires participer à la guerre israélo-arabe de 1948. Perçue comme une démonstration de force, l’association est interdite par le roi Farouk qui ordonne l’assassinat d’Hassan al-Banna. Il meurt le 2 février 1949. S’ajoute à partir de là la figure mobilisatrice du martyr qui participe à la création de la légende qui entoure les Frères musulmans.
Bibliographie indicative :
– Carré Olivier, Seurat Michel, Les frères musulmans, 1928-1982, Paris, L’Harmattan, 2002 (1er édition : 1983).
– Chebel Malek, Changer l’Islam : Dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2013.
– Ternisien Xavier, les Frères musulmans, Paris, Fayard, 2005.
– On peut suivre la pensée d’Hassan al-Banna et son cheminement vers le radicalisme dans sa correspondance ou dans les écrits de sa famille.
Mélodie Le Hay
Mélodie Le Hay est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où elle a obtenu un Master recherche en Histoire et en Relations Internationales. Elle a suivi plusieurs cours sur le monde arabe, notamment ceux dispensés par Stéphane Lacroix et Joseph Bahout. Passionnée par la culture orientale, elle s’est rendue à plusieurs reprises au Moyen-Orient, notamment à l’occasion de séjours d’études en Israël, puis en Cisjordanie.
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