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Pendant la majeure partie de son histoire, l’Azerbaïdjan a été incorporé dans les différents empires perses, mais a également résisté et est parvenu à certaines époques à regagner son autonomie. Parallèlement, l’Iran a longtemps perçu l’Azerbaïdjan comme un territoire perse (il existe d’ailleurs un Azerbaïdjan iranien composé de trois provinces).
De nos jours, une influente communauté azérie vit en Iran (environ 16% de la population, soit la deuxième ethnie de l’Iran après les Perses) et certains de ses membres sont devenus d’importants hommes d’Etat (l’actuel ayatollah Khamenei est notamment d’origine azérie. Les deux pays partagent également de nombreux traits culturels, ainsi que la religion musulmane chiite. Malgré ces éléments, les relations entre les deux Etats, peu médiatisées par les médias occidentaux, ont souvent été conflictuelles depuis une vingtaine d’années.
Afin de comprendre la complexité des rapports que ces deux pays entretiennent de nos jours, il est nécessaire de revenir sur leurs 2 500 ans de relations. La première partie de cet article évoquera ainsi la période entre l’empire achéménide (550-330 av. J-C.) et le traité de Turkmanchai en 1828 qui consacre le passage de l’Azerbaïdjan de la domination perse à la domination russe, puis la deuxième traitera des XIXème, XXème et XXIème siècles.
La plupart des informations relatives à cette époque et plus généralement à l’ensemble de la période préislamique proviennent des écrits d’auteurs grecs et latins et donc de sources extérieures à la région concernée. Avant la conquête achéménide, peu d’éléments sont donc connus concernant le territoire de l’actuel Azerbaïdjan, si ce n’est qu’il est dominé à partir du VIIème siècle av. J-C par les Mèdes, un peuple iranien voisin des Perses. Hérodote, dans ses Histoires, évoque la religion des Mèdes qu’il assimile déjà au zoroastrisme.
Cyrus II (également connu sous le nom de Cyrus le Grand), le fondateur de l’empire achéménide, aurait été le petit fils du dernier roi mède, Astyage. En 550 av. J-C, il écarte son grand-père du pouvoir et l’emprisonne. C’est le début du règne de la dynastie perse des Achéménides, qui remplace alors les Mèdes en tant que puissance dominante de la région. Le nouvel empire poursuit rapidement son expansion, incorporant notamment l’Azerbaïdjan dans la satrapie (division administrative des empires perses) de Médie. Pendant plus de deux cents ans, l’Azerbaïdjan va donc s’imprégner des coutumes perses.
Alexandre le Grand, roi de Macédoine, porte un coup fatal aux Achéménides en infligeant une défaite au roi Darius III en 331 av. J-C lors de la bataille de Gaugamèles. Il poursuit alors sa route vers Persépolis, la capitale de l’empire, et envahit en chemin le territoire de l’actuel Azerbaïdjan. Atropates, le satrape de Médie lors de l’invasion d’Alexandre, reste dans un premier temps fidèle à son suzerain Darius III. A la mort de ce dernier en 330, il choisit le camp des vainqueurs afin de sauvegarder sa position. L’écrivain grec Arrien nous informe qu’après avoir été confirmé comme satrape de Médie par Alexandre en 328, il parvient même à marier sa fille à Perdiccas, un des principaux généraux du roi macédonien. Au lendemain de la mort d’Alexandre, en 323, la satrapie de Médie est divisée en deux. Selon Strabon, Atropates, qui hérite de la plus petite partie, refuse de prêter allégeance aux Séleucides, les nouveaux maîtres de la Perse, et transforme sa satrapie en royaume indépendant. A partir de cette date, les Grecs appellent son territoire la Media Atropatène (ou simplement Atropatène), à l’origine du nom moderne, après une série d’évolutions linguistiques, d’Azerbaïdjan (en Perse Moyen, Aturpatakan, et Nouveau Perse, Adarbayjan).
Un des successeurs d’Atropates, Artabazanes, est mentionné par les sources grecques (Polybe) comme le dirigeant de l’Atropatènes et de l’Arménie. Contemporain du dirigeant séleucide Antiochos III le Grand (242-187), Artazabanes serait donc parvenu à unifier l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Antiochos, après avoir supprimé la rébellion de Molon, le satrape de Médie, se tourne vers Artabazanes. Il le soupçonne d’avoir soutenu les insurgés et d’avoir tenté de déstabiliser le royaume séleucide. Le roi d’Atropatène, face à la puissance d’Antiochos, ne peut que se soumettre au souverain en 220 av. J-C. L’Azerbaïdjan perd alors son autonomie et se retrouve à nouveau dominé par la Perse.
Arsacide Ier, un membre d’une tribu d’Asie centrale, fonde l’empire arsacide vers le milieu du IIIème siècle av. J-C et conquiert la Parthie, une satrapie du nord-est de l’Iran. L’empire séleucide va peu à peu être renversé et remplacé par les Arsacides (aussi appelés Parthes). La date exacte d’incorporation de l’Atropatène dans l’empire parthe n’est pas connue, mais elle se situe probablement sous le règne de Mithridate Ier, un souverain arsacide qui a largement participé à l’expansion de son empire. Cependant, le petit royaume d’Atropatène ne semble pas avoir été simplement annexé par les nouveaux dirigeants, et est vraisemblablement parvenu à négocier à nouveau une certaine autonomie.
L’histoire de l’Azerbaïdjan à l’époque parthe est assez mal connue, si ce n’est qu’elle semble très liée à la rivalité entre l’empire romain et l’empire arsacide. En 36 av. J-C., Marc-Antoine aurait utilisé le territoire arménien pour tenter d’envahir, sans succès, l’Atropatènes, alors alliée des Arsacides. L’auteur grec Plutarque, dans sa biographie de Marc-Antoine, explique que le roi d’Atropatène Artavasdes change de camp après l’invasion romaine de 36. De peur de voir l’autonomie de son royaume remise en cause par le pouvoir central arsacide, il décide en effet de s’allier avec le général romain qu’il vient pourtant juste d’affronter. Afin de sceller l’alliance, un fils de Marc-Antoine épouse la fille d’Artavasdes.
Cependant, en 20 av. J-C, le dernier roi de la « dynastie » fondée par Atropate est assassiné, et un traité de paix entre l’empire romain et l’empire parthe est signé peu de temps après. Les souverains arsacides vont remplacer les rois indigènes de l’Atropatènes par leurs nobles et renforcer ainsi leur contrôle sur ce territoire. L’Azerbaïdjan est alors soumis à la Perse, et va être délaissé par les historiens jusqu’à la chute de l’empire parthe, au IIIème siècle apr. J-C.
En 224, un certain Ardashir se proclamant descendant des souverains achéménides, défait le dernier roi parthe Artaban V. La dynastie des Sassanides accède au pouvoir et va régner en Iran et sur les pays voisins pendant plus de quatre cents ans. A partir de 241-242, l’empereur sassanide Shahpur Ier pacifie l’Azerbaïdjan qui ne se révoltera plus contre le pouvoir central jusqu’à la conquête arabe. Administré par un gouverneur, l’Atropatène (désormais aussi appelée Aturpatakan) n’est cependant pas marginalisée. Au contraire, elle s’impose comme un des centres religieux les plus importants de la région. Bastion du zoroastrisme, le temple de Siz attire des pèlerins avec le foyer d’Adur Gusnap, un des trois feux les plus sacrés de l’empire sassanide, et chaque nouveau souverain est censé s’y rendre à pied après avoir été couronné. Ainsi, l’Atropatène sous les Sassanides, à défaut de disposer d’une autonomie politique, a joué un rôle religieux considérable.
Avec la conquête arabe et l’islamisation progressive de l’Iran, l’Azerbaïdjan entre dans une nouvelle ère. Contrairement à l’époque préislamique, son territoire n’est pas uniquement dominé par le pouvoir central perse. Il va toutefois être occupé quasiment sans interruption (Arabes, Turkmènes, Mongols), tout en maintenant dans la plupart des cas une certaine autonomie.
A partir de 639, l’Empire sassanide, déjà affaibli par les attaques répétées des Byzantins, s’incline peu à peu face à l’avancée des armées arabes. En 651, la dynastie s’achève avec la mort du dernier souverain. Les Arabes, nouveaux dirigeants de la Perse, semblent avoir attaché une importance considérable à la conquête de l’Azerbaïdjan qu’ils estiment être une des clés pour contrôler efficacement l’ensemble de la région. Une fois l’Azerbaïdjan occupé, l’unique exigence des vainqueurs est dans un premier temps le paiement d’un tribut annuel. A partir du calife Uthman (644-656), les guerriers arabes commencent à coloniser le territoire azerbaïdjanais, et la province commence son processus d’islamisation.
Sous le califat omeyyade, l’Azerbaïdjan est largement marginalisé. Son territoire est perçu par les gouverneurs arabes comme une simple zone frontalière et une base pour lancer des opérations militaires contre les peuples du Caucase.
Contrairement à l’époque omeyyade, l’Azerbaïdjan conteste violemment l’occupation arabe sous les Abbassides. Un certain Babak Korrami organise une rébellion au nord-ouest de la Perse entre 816 et 837. S’appuyant sur le sentiment anti-arabe des Perses présents en Azerbaïdjan, il donne à son mouvement une dimension religieuse (la protection des traditions zoroastriennes face à l’islam). Un tel épisode souligne le maintien de la présence et l’influence de la culture perse en Azerbaïdjan. Avec l’érosion du pouvoir central abbasside au IXème siècle, les gouverneurs de l’Azerbaïdjan commencent à jouir d’une autonomie non négligeable et dirigent leur territoire comme des souverains. Dès lors, le contrôle califal ne sera jamais effectif dans les provinces azerbaïdjanaises, et différents clans se disputeront au IXème siècle leur administration.
Les Seldjouqides, membres d’une tribu turkmène, parviennent au XIème siècle à dominer l’Azerbaïdjan. Leur objectif est surtout de contrôler les riches terres iraniennes et irakiennes. L’Azerbaïdjan se retrouve ainsi dans la même position marginale que sous les omeyyades, et sert surtout de réservoir d’esclaves.
Au XIIIème, c’est au tour des Mongols de s’attaquer à l’Azerbaïdjan, et la société azérie est progressivement turquisée sous les dynasties des Ilkhanides et des Jalayirides (1256-1432). Au XVème siècle, l’Azerbaïdjan est en proie à une grande instabilité et constitue l’un des terrains d’affrontement entre deux tribus-Etats turkmènes, les Moutons noirs (Qara Qoyunlu) et les Moutons Blancs (Aq Qonyulu).
L’Azerbaïdjan a donc connu, au même titre que l’Iran, un Moyen Âge relativement anarchique. Petites dynasties locales et gouvernements éphémères issus des invasions ont contribué à l’érosion d’une culture politique centralisée. Néanmoins, la dynastie perse des Séfévides parvient au début du XVIème siècle à unifier une bonne partie du territoire iranien tel qu’il était au temps des Sassanides, et à rétablir les liens entre Azerbaïdjan et Iran.
L’Azerbaïdjan, incorporé dans l’empire séfévide au début du XVIème siècle, entretient des liens privilégiés avec le pouvoir central. En effet, Ismaïl Ier, fondateur de la dynastie aurait lui-même été d’origine azérie et a impulsé le développement religieux du pays (la ville d’Ardabil, dans l’actuel Azerbaïdjan iranien, est notamment transformée en un haut lieu de culte chiite). Au-delà des origines des premiers souverains, les Séfévides prennent conscience de la nécessité de bien gouverner un territoire aussi stratégique et de le préserver des menaces des peuples turkmènes.
A la fin du XVIème, le principal rival des Séfévides devient l’Empire ottoman qui s’attaque de manière régulière à l’Azerbaïdjan. Tabriz, une des principales villes de l’Azerbaïdjan iranien, est même détruite en 1636 par le sultan ottoman Mourad IV. Aux raids turcs s’ajoutent au début du XVIIIème siècle les insurrections afghanes qui affaiblissent considérablement l’empire séfévide. Le tsar russe Pierre le Grand, de peur de voir le déclin des Séfévides profiter aux Ottomans qui contrôleraient alors une partie du Caucase ainsi que la région de la mer Caspienne, déclenche une guerre contre la Perse en 1722. Via la mer Caspienne, les Russes s’emparent des provinces orientales du Caucase et occupent Bakou, la capitale de l’actuelle Azerbaïdjan.
Pendant ce temps, les Ottomans prennent le contrôle de l’ouest de l’Azerbaïdjan, alors que le régime séfévide s’effondre en 1736. Après cette date, la Perse comme l’Azerbaïdjan vont traverser jusqu’à la fin du siècle une période très instable au cours de laquelle leurs territoires seront disputés et démembrés par les Ottomans et les Afghans.
En 1786, une nouvelle dynastie iranienne, celle des Kadjars, est fondée. D’origines turkmènes, ils parviennent à établir leur souveraineté sur une grande partie du territoire historique des empires perses. Le gouvernorat de l’Azerbaïdjan est confié à l’héritier du trône kadjar afin de montrer aux Russes et aux Ottomans l’importance que les nouveaux maîtres de la Perse accordent au territoire azerbaïdjanais.
Néanmoins, les Kadjars ne peuvent résister très longtemps aux pressions russes qui s’accroissent au début du XIXème siècle. En 1804-1813 et en 1827-1828, Perses et Russes s’affrontent au nom de revendications territoriales. Les Kadjars, défaits, sont contraints de signer le traité de Golestân en 1813 et celui de Turkmanchai en 1828 et perdent tous leurs territoires du Caucase ainsi que le droit de naviguer sur la mer Caspienne. L’Azerbaïdjan, comptant parmi les territoires annexés par l’empire russe, sort du giron perse et ne sera plus jamais contrôlé par l’Iran.
Lire également :
– Historique des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran (2/3) : de 1828 à la chute de l’URSS (1991)
– Historique des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran (3/3) : de 1991 à nos jours
Bibliographie :
– Enclyclopaedia Iranica, Vol. III, Fasc. 23, pp.224-231 et Fasc. 2, pp. 221-224, 1987, mis à jour en 2015.
– Larousse.fr (Histoire de l’Azerbaïdjan)
– Encyclopedia Britannica (History of Azerbaijan)
– LIBERMAN, Sherri, A Historical Atlas of Azerbaijan, Rosen Pub Group, 2004.
– Sources grecques et latines : HERODOTE, Histoires, Livre Premier, (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/herodote/clio.htm), ARRIEN, Expédition d’Alexandre, Livre Six (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/arrien/), STRABON, Géographie, Livre Onze (http://remacle.org/bloodwolf/erudits/strabon/), POLYBE, Histoires, Livre Cinq (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/polybe/index.htm)
Simon Fauret
Simon Fauret est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse (Relations internationales - 2016) et titulaire d’un Master 2 de géopolitique à Paris-I Panthéon Sorbonne et à l’ENS. Il s’intéresse notamment à la cartographie des conflits par procuration et à leurs dimensions religieuses et ethniques.
Désormais consultant en système d’information géographique pour l’Institut national géographique (IGN), il aide des organismes publics et privés à valoriser et exploiter davantage les données spatiales produites dans le cadre de leurs activités (défense, environnement, transport, gestion des risques, etc.)
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