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Alors que l’Iran n’a jamais été aussi proche de se doter de l’arme atomique, où en sont les négociations sur le nucléaire iranien (1/3) ? De l’accord historique au désastre diplomatique

Par Emile Bouvier
Publié le 25/08/2022 • modifié le 28/08/2022 • Durée de lecture : 8 minutes

 
Et pour cause : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) annonçait, en mai de cette année, que les stocks d’uranium enrichi accumulés par l’Iran dépassaient désormais de plus de dix-huit fois la limite autorisée par l’accord de 2015 [3] : depuis le retrait unilatéral de ce dernier par Washington en 2018, Téhéran a poursuivi son programme nucléaire, au grand dam des puissances impliquées dans le dossier qui avaient déployé, depuis 2013, des efforts diplomatiques parfois très substantiels afin de trouver une solution pacifique à cet irritant majeur des relations diplomatiques entre l’Iran et une grande partie de la communauté internationale.
 
Le Président américain Joe Biden, élu en novembre 2020, avait pourtant annoncé dès sa campagne électorale son souhait de reprendre les négociations avec l’Iran et de sauver l’accord de 2015 ; toutefois, l’actualité internationale, au premier rang desquelles la pandémie de COVID-19 puis la guerre en Ukraine, n’auront eu de cesse de détourner les efforts américains en ce sens.
 
Concomitamment à ces crises sanitaires et sécuritaires, l’intransigeance des camps iranien et américain est venue saper les différentes initiatives visant à sauver l’accord de 2015, notamment les négociations initiées à Vienne par l’Union européenne ou les négociations indirectes organisées à Doha entre les Etats-Unis et l’Iran ; tout en blâmant la politique étrangère de l’ancien Président américain Donald Trump à l’égard de Téhéran, l’administration américaine poursuivra et intensifiera ainsi ses campagnes de sanctions économiques contre le régime iranien [4] tandis que ce dernier multipliera les provocations afin d’instaurer un rapport de force dans les négociations, en retirant par exemple les caméras de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) installées sur plusieurs de ses sites nucléaires [5].
 
Le présent article entend ainsi dresser un point de situation des négociations sur le nucléaire iranien depuis le retrait américain en 2018 ; de rapides éléments de contexte et rappels seront exposés avant d’en venir aux détails de la reprise des négociations initiées le 6 avril 2021 (première partie) puis, pour finir, aux enjeux des discussions actuelles, éprouvées par le conflit en Ukraine et pressées par une défiance croissante des protagonistes (deuxième partie). Au bord d’un nouvel échec, les négociations sur le nucléaire iranien connaitront finalement un revirement de situation fin juillet grâce à une initiative réussie de l’UE, aboutissant en des négociations de plus en plus prometteuses, qui seront exposées en partie trois.

 

1. 2015-2018 : de l’accord historique aux menaces de conflit armé

Le dossier nucléaire iranien constitue, depuis le début des années 2000, un point de friction majeur dans les relations diplomatiques de l’Iran avec l’Europe, Israël et les Etats-Unis, qui initiaient alors leur « guerre contre le terrorisme » [6]. Si la présidence de Mahmoud Ahmadinejad ne fera qu’accroître davantage encore les tensions, celui-ci n’hésitant pas à déclarer qu’Israël devait être « rayé de la carte » [7], l’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani le 14 juin 2013 vient toutefois changer la donne : le nouveau président iranien se déclare prêt à entamer des « négociations sérieuses » [8] et c’est chose faite dès le mois de novembre de la même année, lors de la première conférence de Genève à laquelle participent l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne (les « P5+1 »).
 
Ce premier round de discussions visait avant tout à normaliser les relations de Téhéran avec la communauté internationale et à poser les bases de futures négociations qui, elles, devraient aboutir en un accord-cadre. En guise de bonne volonté réciproque, l’Iran s’engage alors à suspendre temporairement son programme nucléaire tandis que les Etats-Unis lèvent partiellement leurs sanctions économiques.
 
Une première réunion préparatoire est alors organisée à Lausanne le 2 avril 2015 ; après d’âpres négociations, un accord politique est atteint et parvient notamment à obtenir des autorités iraniennes qu’elles réduisent leur production d’uranium enrichi et acceptent que la communauté internationale puisse surveiller leurs activités nucléaires. Si ces négociations sont globalement un succès et posent les bases du texte définitif, rien n’était acquis pour autant, la France s’étant illustrée par sa posture particulièrement peu encline au compromis [9], tout comme les Etats-Unis qui annonçaient, à l’issue des négociations, que « rien n’est accepté tant que tout n’est pas accepté » [10].
 
Finalement, après de nouvelles négociations dont l’échéance a été repoussée à plusieurs reprises, un texte définitif est adopté le 24 juin 2015 : le Plan d’action global commun (JCPOA, pour « Joint comprehensive plan of action ») est né. Celui-ci, complexe, se traduit -en synthèse - par une limitation des ressources nécessaires à la militarisation des ressources nucléaires iraniennes (limitation de la production de plutonium et des stocks d’uranium enrichi notamment, ainsi que réduction du nombre de centrifugeuses dont le nombre doit passer de 19 000 à 5 060) tandis que, côté européen et américain, Bruxelles et Washington promettent de lever les principales sanctions frappant l’Iran.
 
Si les différents contrôles effectués par l’Agence internationale de l’énergie atomique montrent que l’Iran respecte sa part de l’accord et que les relations diplomatiques se réchauffent entre les différents pays impliqués dans le dossier - les entreprises françaises investissent à nouveau en Iran par exemple [11] -, un coup de théâtre vient bouleverser les efforts et succès diplomatiques remportés jusqu’alors : le Président américain Donal Trump, élu le 8 novembre 2016, décide le 8 mai 2018 de retirer les Etats-Unis de l’accord et de rétablir des « sanctions au plus haut niveau » contre l’Iran [12]. S’ensuit alors une escalade des tensions diplomatiques, culminant en des climax sécuritaires dans le Golfe persique en 2019 et lors de l’élimination du général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020 à Bagdad par un drone américain.
 
L’Europe [13] et l’Iran [14] essaieront de sauver l’accord autant que possible dans les mois qui suivront, en vain ; Téhéran reprendra ainsi son programme nucléaire, relançant plusieurs centrifugeuses et l’enrichissement de son uranium [15]. Le déclenchement de la pandémie de COVID-19 suspendra le dossier nucléaire iranien avant qu’un début d’accalmie sanitaire en avril 2021 ne permette, à la faveur de la nouvelle administration américaine, de relancer les négociations.
 

2. Une sincérité et une bonne volonté politiques insuffisantes pour surmonter les désaccords

 
Le 6 avril 2021, l’Iran, la Chine, la Russie, l’Allemagne, le France et le Royaume-Uni se réunissent à Vienne afin de relancer les négociations visant à revitaliser le JCPOA. Les objectifs restent les mêmes qu’en 2015 : pour les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne, il s’agit d’empêcher l’Iran de développer l’arme atomique tandis que les représentants iraniens cherchent, eux, à ce que les sanctions internationales dont leur pays est frappé soient allégées, sinon levées.
 
L’enjeu supplémentaire de ces discussions est également, toutefois, de parvenir à la réintégration des Etats-Unis à la table des négociations : Washington, qui n’a officiellement plus de relations diplomatiques avec Téhéran, ne participait pas directement aux discussions mais une délégation américaine se trouvait toutefois sur place, dans un autre hôtel, afin de négocier également avec les Iraniens, sans que les détails de cette participation américaine singulière n’aient été dévoilés [16].
 
Ce premier round de négociations s’avérera productif : si aucun accord ne sera atteint en tant que tel, les participants souligneront la volonté sincère de leurs interlocuteurs de trouver une solution convenable pour tous, permettant ainsi une reprise de contact entre l’Iran et les puissances impliquées dans le dossier ; le Ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif exprimera ainsi sa plus grande satisfaction à l’égard de ces échanges et déclarera être en faveur d’une poursuite de ces derniers si chaque partie continue de montrer « la même volonté et le même sérieux politiques » [17].
 
Deux groupes de travail seront formés à l’issue de ce cycle de négociations : l’un en charge de lister les sanctions américaines imposées en 2018 qui devraient être levées, l’autre devant estimer quelles mesures devraient être prises par l’Iran afin de la faire revenir au plein respect de l’accord [18]. Finalement, au terme de six cycles de discussion à Vienne qui courront jusqu’au mois de juin, les négociations échoueront à restaurer le JCPOA en raison de désaccords persistants au sein de ces groupes de travail.
 
La perspective d’une nouvelle relance des négociations sera, par ailleurs, amoindrie encore par l’élection à la présidence iranienne du conservateur Ebrahim Raïssi quelques mois plus tard, le 3 août 2021. Si ce dernier affichait son soutien aux négociations avec les membres du JCPOA durant la campagne présidentielle iranienne [19], il se montre intransigeant sur les sanctions américaines [20] ; probablement dans une volonté d’effectuer une démonstration de force au président nouvellement élu, les Etats-Unis édicteront de nouvelles sanctions contre l’Iran dix jours après son élection le 13 août 2021, visant plus particulièrement un homme d’affaires omanais impliqué dans du trafic de pétrole au profit de la Force al-Quods, rattachée au Corps des gardiens de la révolution islamique [21].
 
Les négociations se poursuivront malgré tout : le 27 décembre 2021, toujours à Vienne, les membres du JCPOA se réunissent pour un septième cycle de négociations [22], avec comme objectif d’aboutir à un accord final en février 2022 [23]. La veille, dans un signe de bonne volonté, l’agence de l’énergie atomique iranienne publiait un communiqué officiel dans lequel elle promettait de ne pas chercher à enrichir de l’uranium au-delà de 60%, l’arme atomique nécessitant un enrichissement à 90% [24]. Les négociations avanceront peu, aucune des parties prenantes ne se montrant réellement enclines à effectuer de compromis.
 
Le 8 février 2022, les discussions reprennent à Vienne lors de ce qui devait être le cycle final des négociations. Le Ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian déclare que « nous sommes pressés de trouver un bon accord, mais il doit s’inscrire dans le cadre de discussions logiques et respecter les droits de la nation iranienne » [25], appelant les Etats-Unis et l’Europe à « cesser de jouer avec les textes et avec le temps » [26]. A noter que si une délégation américaine est bien présente, les officiels iraniens refusent toujours de discuter directement avec des représentants des Etats-Unis, comptant sur les membres de la délégation européenne pour jouer les intermédiaires.
 
Tendues et particulièrement scrutées, ces négociations s’étaleront sur plusieurs jours pendant lesquels l’Iran effectuera quelques concessions, ouvrant la porte à un geste similaire de la part de l’Europe et des Etats-Unis et laissant, surtout, entrevoir un potentiel nouvel accord sur le nucléaire iranien. Il n’en sera toutefois rien : en plein cycle de négociations, la guerre en Ukraine éclate, bouleversant la donne géopolitique et, partant, la dynamique des négociations.

Sitographie :
 Iran says nuclear deal ‘within reach’ if West shows goodwill, Al Jazeera, 14/03/2022
https://www.aljazeera.com/news/2021/12/2/iran-says-nuclear-deal-within-reach-if-west-shows-goodwill
 Antony Blinken says ‘a few weeks left’ to save Iran nuclear deal, Al Jazeera, 14/01/2022
https://www.aljazeera.com/news/2022/1/14/us-blinken-says-only-few-weeks-left-to-save-iran-nuclear-deal
 Nucléaire iranien : les stocks d’uranium enrichi dépassent de 18 fois la limite autorisée, Le Figaro, 30/05/2022
https://www.lefigaro.fr/international/nucleaire-iranien-les-stocks-d-uranium-enrichi-depassent-de-18-fois-la-limite-autorisee-20220530
 U.S. restores sanctions waiver to Iran with nuclear talks in final phase, Reuters, 05/02/2022
https://www.reuters.com/world/middle-east/biden-administration-restores-sanctions-waiver-iran-talks-final-phase-2022-02-04/
 Nucléaire : l’Iran va « retirer 27 caméras » de surveillance de l’AIEA, Le Figaro, 09/06/2022
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/nucleaire-l-iran-va-retirer-27-cameras-de-surveillance-de-l-aiea-20220609
 "Israël doit être rayé de la carte", selon Ahmadinejad, La Croix, 26/10/2005
https://www.la-croix.com/Semaine-en-images/Israel-doit-etre-raye-de-la-carte-selon-Ahmadinejad-_NG_-2005-10-26-511087
 Rohani prêt à des « négociations sérieuses » sur la question nucléaire, Le Devoir, 07/08/2013
https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/384542/rohani-pret-a-des-negociations-serieuses-sur-la-question-nucleaire
 Les quatre points-clés de l’accord sur le nucléaire iranien, Le Monde, 02/04/2015
https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/04/02/nucleaire-iranien-un-accord-se-profile_4608769_3218.html
 Donald Trump sur l’Iran : « Nous appliquerons le plus haut niveau de sanctions », Le Figaro, 08/05/2018
https://video.lefigaro.fr/figaro/video/donald-trump-sur-l-iran-nous-appliquerons-le-plus-haut-niveau-de-sanctions/5782025930001/
 Nucléaire iranien : Iran, France, Allemagne et Royaume-Uni discuteront à Bruxelles, Le Monde, 11/05/2018
https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/11/accord-sur-le-nucleaire-iranien-iran-france-allemagne-et-royaume-uni-discuteront-a-bruxelles_5297537_3218.html
 Les Européens et l’Iran s’engagent à sauver l’accord nucléaire, L’Express, 14/05/2018
https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/le-chef-de-diplomatie-iranienne-a-bruxelles-pour-tenter-de-sauver-l-accord-sur-le-nucleaire_2008238.html
 Iran says initial nuclear talks with world powers ‘constructive’, Al Jazeera, 06/04/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/4/6/vienna-talks-iran-and-world-powers-begin-nuclear-negotiations
 New tensions dim hopes for salvaging Iran nuclear deal, Science, 17/06/2020
https://www.science.org/content/article/new-tensions-dim-hopes-salvaging-iran-nuclear-deal
 Vienna talks on Iran’s nuclear deal conclude hopeful opening week, Al Jazeera, 09/04/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/4/9/vienna-talks-on-irans-nuclear-deal-conclude-hopeful-first-week
 Iranian presidential candidates face off in final showdown, Tehran Times, 12/06/2021
https://www.tehrantimes.com/news/461910/Iranian-presidential-candidates-face-off-in-final-showdown
 Blinken says nuclear talks with Iran ‘cannot go on indefinitely’, Al Jazeera, 29/07/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/7/29/blinken-says-nuclear-talks-with-iran-cannot-go-on-indefinitely
 US announces new Iran sanctions, targeting Omani ‘broker’, Al Jazeera, 13/08/2021
https://www.aljazeera.com/economy/2021/8/13/us-announces-new-iran-sanctions-targeting-omani-broker
 U.S. on Seventh Round of Nuclear Talks, The Iran Primer, 21/12/2021
https://iranprimer.usip.org/blog/2021/dec/18/us-seventh-round-nuclear-talks
 Iran nuclear deal : eighth round of talks begins in Vienna, The Guardian, 27/12/2021
https://www.theguardian.com/world/2021/dec/27/iran-nuclear-deal-eighth-round-of-talks-begins-in-vienna
 Iran atomic chief claims country won’t enrich uranium over 60% if nuclear talks fail, The Times of Israel, 25/12/2021
https://www.timesofisrael.com/iran-atomic-chief-claims-country-wont-enrich-uranium-over-60-if-nuclear-talks-fail/
 Iran says outcome of Vienna talks hinges on Western decisions, Al Jazeera, 14/02/2022
https://www.aljazeera.com/news/2022/2/14/iran-says-vienna-talks-success-hinges-on-western-stance
 Iran nuclear deal talks stall as U.S. sanctions on Russia destabilize world economy, politics, Liberation, 14/03/2022
https://www.liberationnews.org/iran-nuclear-deal-talks-stall-as-u-s-sanctions-on-russia-destabilize-world-economy-politics/
 Exclusive : Iran nuclear deal draft puts prisoners, enrichment, cash first, oil comes later – diplomats, Reuters, 17/02/2022
https://www.reuters.com/world/exclusive-iran-nuclear-deal-draft-puts-prisoners-enrichment-cash-first-oil-comes-2022-02-17/

Publié le 25/08/2022


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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