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La période de l’entre-deux-guerres a fortement influé sur l’affirmation progressive du nationaliste arabe et marque un tournant dans l’émancipation politique de la région. Suite à la chute de l’Empire ottoman et à la mise en place des régimes mandataires, les peuples de la région élaborent leurs propres références. Dans des sociétés en pleine transformation vont alors se forger différents courants idéologiques qui donneront naissance aux grands mouvements nationalistes des années 1950.
Lire la première partie : Nationalisme arabe : les origines
Les années qui suivent la fin de la Première Guerre mondiale marquent l’échec d’une première tentative de création d’une nation arabe. Le Chérif de La Mecque Hussein, de la prestigieuse famille Hachémite, avait lancé la Révolte arabe de 1916 contre l’Empire ottoman, aux côtés des Britanniques. Pour Hussein, la Révolte découlait plus d’une réaction contre la politique laïcisante du régime Jeune-turc, à la tête de l’Empire ottoman depuis 1908, dans le but de restaurer la primauté des Arabes dans la conduite de l’Islam. Il reste donc dans une vision assez traditionaliste, dans la lignée des réformistes musulmans du XIXe siècle. C’est finalement son fils Faysal, appuyé par le Congrès syrien, qui ayant réuni des nationalistes de la région tente la première expérience nationale arabe avec l’éphémère royaume arabe de Damas. Proche, dans un premier temps, des idéaux islamistes de son père, Faysal affiche rapidement un discours plus libéral, teinté de wilsonisme, assurant l’égalité confessionnelle. La défaite militaire de ce dernier face aux Français et la mise en place du système des mandats, ne marque pas la fin du rêve d’une grande nation arabe. Dès 1921, le Congrès syro-palestinien se lance dans une inlassable action auprès de la Société des Nations pour faire valoir les droits des Arabes. Des rébellions populaires éclatent dans l’ensemble de la région et sont sévèrement réprimées. Les Arabes ne réussissent pas à empêcher la mise en place de mandats, par la France et la Grande-Bretagne, dans des territoires dont les frontières ont été dessinées sans aucune forme de consultation au préalable.
De nombreux débats vont alors s’ouvrir tout au long des années 1920-1930. Il s’agit, tout d’abord, de définir de manière précise l’identité arabe. Dans le cadre de l’arabisme traditionnel, on comprend par Arabe une personne ayant une parenté de sang et une descendance venant de la péninsule arabique, descendants des tribus bédouines ou issus des populations conquises et arabisées lors des conquêtes des premier temps de l’Islam. On trouve dans la période de l’entre-deux-guerres une nouvelle exploitation du passé antique de la région s’inspirant de travaux d’orientalistes européens. Les origines sémites des Arabes sont ainsi mises en avant. On insiste sur les héritages cananéens, phéniciens, pharaoniques ou encore assyriens de la population. Certains voient alors dans ces origines antiques communes une des raisons qui aurait favorisé, voire même rendue possible l’expansion de l’arabité lors des conquêtes des VIIe et VIIIe siècles. D’autres utilisent ce passé pour alimenter des thèses régionalistes et insistent sur le particularisme de certaines communautés. Dans des sociétés en pleine évolution vont alors se diffuser peu à peu trois principales visions nationalistes.
L’Islam, comme principe unificateur, garde une importance primordiale pour certains théoriciens qui se placent dans la continuité des réformistes Mohammad Abduh ou Rachid Rida. Le panislamisme dépasse le monde arabe, qui ne représente qu’une partie du monde musulman qu’il faut libérer du joug occidental. L’Islam représente, au lendemain de la Première Guerre mondiale, une continuité, une référence traditionnelle et rassurante qui s’oppose facilement à l’impérialisme occidental. Il prend alors une tournure plus activiste et organisée. Des partis, dans la jeunesse notamment, se forment, comme l’Association de la Jeunesse musulmane fondée au Caire en 1927. Un des plus importants exemples d’organisation islamique est l’œuvre du Cheik Hassan al Banna qui fonde les Frères musulmans en 1928 à Ismaïlia en Egypte et qui développe rapidement des branches dans de nombreuses villes. Il faut toutefois noter, que malgré la sympathie des Frères musulmans pour certains aspects des théories nationalistes émergentes, ils s’opposent au principe de nationalité dans l’Islam et l’unité arabe ne peut être vue que comme une première étape vers l’unité de l’ensemble des musulmans.
Parallèlement à ce nationalisme arabe élargi, certains penseurs préfèrent limiter leur vision nationale à leur propre région et se concentrent sur les spécificités locales. C’est le cas de l’Egyptien Saad Zaghloul qui constitue la délégation (le Wafd) afin de négocier l’indépendance de son pays avec la Grande-Bretagne. Au Liban, le maronite Pierre Gemayel crée en 1936 le parti Kataëb, les phalanges, et défend un Grand Liban dans lequel sa communauté jouerait un rôle majeur. Il affirme un nationalisme libanais et chrétien contre toutes les idées d’union à la nation arabe.
On peut également citer l’exemple d’Antoun Saadé, fondateur en 1932 du Parti Syrien National Social, ou Parti Populaire Syrien (PPS). Pour lui, il n’y a pas une nation arabe mais des nations arabes et l’arabisme ne constitue pas le nationalisme. Il insiste alors sur les critères sociaux et culturels. Il délimite notamment quatre zones principales : la Syrie (qui comprendrait aujourd’hui la Syrie, le Liban, Israël, la Jordanie et l’Irak), la péninsule arabique, la vallée du Nil et le Maghreb.
C’est principalement sous l’influence du Syrien Sati’ al-Husri (1880-1967), conseiller de Faysal, devenu roi d’Irak, que se définit véritablement l’idée de nation arabe. S’inspirant du nationalisme germanique, il met en avant le lien spirituel et moral qui constitue la nation. L’unité se fait à travers la langue, qui permet au peuple de se comprendre, ainsi que par son histoire. La religion constitue certes un facteur important mais il est insuffisant : chrétiens et musulmans sont unis par la langue, la culture et l’histoire qu’ils partagent. Il distingue donc l’Islam de la notion d’arabité. L’Islam est donc plutôt entrepris ici sous un prisme sociologique, comme faisant partie de l’histoire et de la culture des Arabes. Cette distance par rapport à l’Islam provoque la colère des milieux les plus conservateurs. Sati’ al-Husri est, par ailleurs, un des premiers à étendre la nation arabe du Golfe à l’Atlantique et propose donc une vision panarabe. Il oppose cette patrie « générale » à la patrie « spéciale » qu’il rejette. Cette unité peut, en outre, être imposée par la force si besoin est. A l’instar du rôle joué par la Prusse dans l’unification allemande, l’Etat le plus fort du monde arabe se doit alors de favoriser le panarabisme pour effectuer l’unité de la nation arabe.
Enfin ces idées nationalistes restent durant l’entre-deux-guerres fortement idéologiques et floues dans la mesure où de nombreuses questions essentielles ne sont pas encore prises en considération, comme les questions sociales, la manière de mettre en œuvre l’unité, l’économie… Si ces idées vont contribuer à donner au monde arabe un destin politique commun, c’est véritablement dans les années 1950 que le nationalisme arabe va réellement s’affirmer comme une force politique.
Bibliographie :
Olivier Carré, Le Nationalisme arabe, Paris, Fayard, 1993.
Catherine Kaminsky, Simon Kruk, Le nationalisme arabe et le nationalisme juif, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.
Henry Laurens, L’Orient arabe, arabisme et islamisme de 1789 à 1945, Paris, Armand Colin, 2004.
Charles Rizk, Entre l’Islam et l’Arabisme, les Arabes jusqu’en 1945, Paris, Editions Albin Michel, 1983.
Charles Saint-Prot, Le Nationalisme arabe, alternative à l’intégrisme, Paris, Ellipses, 1995.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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